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on réserve une surprise à kin-fo et au lecteur.

chinoises cessèrent de reproduire les avis ridicules de l’honorable William J. Bidulph, si bien que la gênante célébrité de Kin-Fo s’évanouit aussi vite qu’elle s’était faite.

Et maintenant, qu’allaient devenir Craig et Fry ? Ils étaient bien chargés de défendre les intérêts de la Centenaire jusqu’au 30 juin, c’est-à-dire pendant dix jours encore, mais, en vérité, Kin-Fo n’avait plus besoin de leurs services. Était-il à craindre que Wang attentât à sa personne ? Non, puisqu’il n’existait plus. Pouvaient-ils redouter que leur client portât sur lui-même une main criminelle ? Pas davantage. Kin-Fo ne demandait maintenant qu’à vivre, à bien vivre, et le plus longtemps possible. Donc, l’incessante surveillance de Fry-Craig n’avait plus de raison d’être.

Mais, après tout, c’étaient de braves gens, ces deux originaux. Si leur dévouement ne s’adressait, en somme, qu’au client de la Centenaire, il n’en avait pas moins été très sérieux et de tous les instants. Kin-Fo les pria donc d’assister aux fêtes de son mariage, et ils acceptèrent.

« D’ailleurs, fit observer plaisamment Fry à Craig, un mariage est quelquefois un suicide !

— On donne sa vie tout en la gardant », répondit Craig avec un sourire aimable.

Dès le lendemain, Nan avait été remplacée dans la maison de l’avenue Cha-Coua par un personnel plus convenable. Une tante de la jeune femme, Mme  Lutalou, était venue près d’elle et devait lui tenir lieu de mère jusqu’à la célébration du mariage. Mme  Lutalou, femme d’un mandarin de quatrième rang, deuxième classe, à bouton bleu, ancien lecteur impérial et membre de l’Académie des Han-Lin, possédait toutes les qualités physiques et morales exigées pour remplir dignement ces importantes fonctions.

Quant à Kin-Fo, il comptait bien quitter Péking après son mariage, n’étant point de ces Célestials qui aiment le voisinage des cours. Il ne serait véritablement heureux que lorsqu’il verrait sa jeune femme installée dans le riche yamen de Shang-Haï.

Kin-Fo avait donc dû choisir un appartement provisoire, et il avait trouvé ce qu’il lui fallait au Tiène-Fou-Tang, le « Temple du Bonheur Céleste », hôtel et restaurant très confortable, situé près du boulevard de Tiène-Men, entre les deux villes tartare et chinoise. Là furent également logés Craig et Fry, qui, par habitude, ne pouvaient se décider à quitter leur client. En ce qui concerne Soun, il avait repris son service, toujours maugréant, mais en ayant bien soin