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les tribulations d’un chinois en chine

Le voyage par terre, à travers une province peu sûre, offrait des difficultés très sérieuses.

S’il ne s’était agi que de gagner la Grande Muraille, dans le nord de la capitale, quels que fussent les dangers accumulés sur ce parcours de cent soixante lis[1], il aurait bien fallu les affronter. Mais ce n’était pas dans le Nord, c’était dans l’Est que se trouvait le port de Fou-Ning. À s’y rendre par mer, on gagnerait temps et sécurité. En quatre ou cinq jours, Kin-Fo et ses compagnons pouvaient l’avoir atteint, et alors ils aviseraient.

Mais trouverait-on un navire en partance pour Fou-Ning ? C’est ce dont il convenait de s’assurer, avant toutes choses, chez les agents maritimes de Tong-Tchéou.

En cette occasion, le hasard servit Kin-Fo, que la mauvaise fortune accablait sans relâche. Un bâtiment, en charge pour Fou-Ning, attendait à l’embouchure du Peï-ho.

Prendre un de ces rapides steamboats qui desservent le fleuve, descendre jusqu’à son estuaire, s’embarquer sur le navire en question, il n’y avait pas autre chose à faire.

Craig et Fry ne demandèrent qu’une heure pour leurs préparatifs, et, cette heure, ils l’employèrent à acheter tous les appareils de sauvetage connus, depuis la primitive ceinture de liège jusqu’aux insubmersibles vêtements du capitaine Boyton. Kin-Fo valait toujours deux cent mille dollars. Il s’en allait sur mer, sans avoir à payer de surprimes, puisqu’il avait assuré tous les risques. Or une catastrophe pouvait arriver. Il fallait tout prévoir, et, en effet, tout fut prévu.

Donc, le 26 juin, à midi, Kin-Fo, Craig-Fry et Soun s’embarquaient sur le Peï-tang, et descendaient le cours du Peï-ho. Les sinuosités de ce fleuve sont si capricieuses, que son parcours est précisément le double d’une ligne droite qui joindrait Tong-Tchéou à son embouchure ; mais il est canalisé, et navigable, par conséquent, pour des navires d’assez fort tonnage. Aussi le mouvement maritime y est-il considérable, et beaucoup plus important que celui de la grande route, qui court presque parallèlement à lui.

Le Peï-tang descendait rapidement entre les balises du chenal, battant de ses aubes les eaux jaunâtres du fleuve, et troublant de son remous les nombreux canaux d’irrigation des deux rives. La haute tour d’une pagode

  1. Quarante lieues.