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les tribulations d’un chinois en chine

doutait-il rien tant que d’être condamné à en perdre un morceau. Il y a quatre ans, lorsque Soun entra au service de Kin-Fo, sa queue, — une des plus belles du Céleste Empire, — mesurait un mètre vingt-cinq. À l’heure qu’il est, il n’en restait plus que cinquante-sept centimètres.

À continuer ainsi, Soun, dans deux ans, serait entièrement chauve !

Cependant, Wang et Kin-Fo, suivis respectueusement des gens de la maison, traversèrent le jardin, dont les arbres, encaissés pour la plupart dans des vases en terre cuite, et taillés avec un art surprenant, mais regrettable, affectaient des formes d’animaux fantastiques. Puis, ils contournèrent le bassin, peuplé de « gouramis » et de poissons rouges, dont l’eau limpide disparaissait sous les larges fleurs rouge pâle du « nelumbo », le plus beau des nénuphars originaires de l’Empire des Fleurs. Ils saluèrent un hiéroglyphique quadrupède, peint en couleurs violentes sur un mur ad hoc, comme une fresque symbolique, et ils arrivèrent enfin à la porte de la principale habitation du yamen.

C’était une maison composée d’un rez-de-chaussée et d’un étage, élevée sur une terrasse à laquelle six gradins de marbre donnaient accès. Des claies de bambous étaient tendues comme des auvents devant les portes et les fenêtres, afin de rendre supportable la température déjà excessive, en favorisant l’aération intérieure. Le toit plat contrastait avec le faîtage fantaisiste des pavillons semés çà et là dans l’enceinte du yamen, et dont les créneaux, les tuiles multicolores, les briques découpées en fines arabesques, amusaient le regard.

Au dedans, à l’exception des chambres spécialement réservées au logement de Wang et de Kin-Fo, ce n’étaient que salons entourés de cabinets à cloisons transparentes, sur lesquelles couraient des guirlandes de fleurs peintes ou des exergues de ces sentences morales dont les Célestials ne sont point avares. Partout, des sièges bizarrement contournés, en terre cuite ou en porcelaine, en bois ou en marbre, sans oublier quelques douzaines de coussins d’un moelleux plus engageant ; partout, des lampes ou des lanternes aux formes variées, aux verres nuancées de couleurs tendres, et plus harnachées de glands, de franges et de houppes qu’une mule espagnole ; partout aussi, de petites tables à thé qu’on appelle « tcha-ki », complément indispensable d’un mobilier chinois. Quant aux ciselures d’ivoire et d’écaille, aux bronzes niellés, aux brûle-parfums, aux laques agrémentées de filigranes d’or en relief, aux jades blanc laiteux et vert émeraude, aux vases ronds ou