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LES PRÉCURSEURS DU CAPITAINE COOK.

et d’un air tendre, aux accords d’une flûte dans laquelle un autre Indien soufflait avec le nez, il nous chanta lentement une chanson, sans doute anacréontique ; scène charmante et digne du pinceau de Boucher. Quatre insulaires vinrent avec confiance souper et coucher à bord. Nous leur fîmes entendre flûte, basse, violon, et nous leur donnâmes un feu d’artifice composé de fusées et de serpenteaux. Ce spectacle leur causa une surprise mêlée d’effroi. »

Avant d’aller plus loin et de reproduire d’autres extraits du récit de Bougainville, nous croyons à propos de prévenir le lecteur de ne pas prendre au pied de la lettre ces tableaux dignes des Bucoliques. L’imagination fertile du narrateur veut tout embellir. Les scènes ravissantes qu’il a sous les yeux, cette nature pittoresque ne lui suffisent pas, et il croit ajouter de nouveaux agréments au tableau, quand il ne fait que le charger. Ce travail, il l’accomplit de bonne foi, presque inconsciemment. Il n’en est pas moins vrai qu’il ne faut accepter toutes ces descriptions qu’avec une extrême réserve. De cette tendance générale à cette époque, nous trouvons un exemple assez singulier dans le récit du second voyage de Cook. Le peintre qui avait été attaché à l’expédition, M. Hodges, voulant représenter le débarquement des Anglais dans l’île de Middelbourg, nous peint des individus qui n’ont pas le moins du monde l’air océanien, et qu’avec leur toge on prendrait bien plutôt pour des contemporains de César ou d’Auguste. Et, cependant, il avait eu les originaux sous les yeux, et rien ne lui eût été plus facile que de représenter avec fidélité une scène dont il avait été témoin ! Comme nous savons mieux aujourd’hui respecter la vérité ! Nulle broderie, nul enjolivement dans les relations de nos voyageurs ! Si quelquefois ce n’est qu’un procès-verbal un peu sec, qui ne plaît que médiocrement à l’homme du monde, le savant y trouve presque toujours les éléments d’une étude sérieuse, les bases d’un travail utile à l’avancement de la science.

Ces réserves faites, continuons à suivre le narrateur.

Sur les bords de la petite rivière qui débouchait au fond de la baie, Bougainville fit installer ses malades et ses pièces à eau avec une garde pour leur sûreté. Ces dispositions ne furent pas sans éveiller la susceptibilité et la méfiance des indigènes. Ceux-ci voulaient bien permettre aux étrangers de débarquer et de se promener dans leur île pendant le jour, mais à la condition de les voir coucher à bord des bâtiments. Bougainville insista, et, finalement, il dut fixer la durée de son séjour.

Dès ce moment, la bonne harmonie se rétablit. Un hangar très vaste fut