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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

sonne à bord qui n’eût ressenti les atteintes du scorbut, et la moitié des équipages se trouvait, dit Bougainville, dans l’impossibilité absolue de faire son service.

« Les vivres qui nous restaient étaient si pourris et d’une odeur si cadavéreuse, que les moments les plus durs de nos tristes journées étaient ceux où la cloche avertissait de prendre ces aliments dégoûtants et malsains. Combien cette situation embellissait encore à nos yeux le charmant paysage des îles Boero ! Dès le milieu de la nuit, une odeur agréable, exhalée des plantes aromatiques dont les îles Moluques sont couvertes, s’était fait sentir à plusieurs lieues en mer et avait semblé l’avant-coureur qui annonçait la fin de nos maux. L’aspect du bourg assez grand, situé au fond du golfe, celui des vaisseaux à l’ancre, la vue des bestiaux errant dans les prairies qui environnent le bourg, causèrent des transports, que j’ai partagés sans doute, et que je ne saurais dépeindre. »

À peine la Boudeuse et l’Étoile avaient-elles mouillé, que le résident du comptoir envoya deux soldats s’informer, auprès du commandant français, des motifs qui le faisaient s’arrêter en cet endroit, alors qu’il devait savoir que l’entrée n’en était permise qu’aux seuls navires de la Compagnie des Indes. Bougainville lui dépêcha aussitôt un officier chargé d’expliquer que, pressé par la faim et la maladie, il était forcé d’entrer dans le premier port qu’il rencontrait sur sa route. D’ailleurs, il quitterait Boero dès qu’il aurait reçu les secours dont il avait le plus urgent besoin, et qu’il réclamait au nom de l’humanité. Le résident lui renvoya alors l’ordre du gouverneur d’Amboine qui lui défendait expressément de recevoir dans son port aucun navire étranger, et pria Bougainville de vouloir bien consigner par écrit les motifs de sa relâche, afin de pouvoir prouver à son supérieur qu’il n’avait enfreint ses ordres que sous la pression de la plus impérieuse nécessité.

Lorsque Bougainville eut signé ce certificat, la plus franche cordialité présida aux rapports qui s’établirent aussitôt avec les Hollandais. Le résident voulut recevoir à sa table l’état-major des deux navires, et une convention fut conclue pour la fourniture de la viande fraîche. Le pain fut remplacé par le riz, nourriture ordinaire des Hollandais, et les légumes frais, qui ne sont point communément cultivés dans cette île, furent fournis aux équipages par le résident, qui les tira du jardin de la Compagnie. Certes, il eût été à souhaiter pour le rétablissement des malades qu’on pût prolonger cette relâche ; mais la fin de la mousson d’est pressait Bougainville de partir pour Batavia.

Ce fut le 7 septembre que le commandant quitta Boero, avec la persuasion que la navigation dans cet archipel n’était pas aussi difficile que les Hollandais