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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

ment petits et faibles, n’étaient pas doués de cet amour de l’indépendance qui caractérise leurs congénères du nord, et n’avaient pas, comme ceux-ci, le sentiment des arts ni le goût de l’industrie.

« Ces Indiens, dit la relation, sont très adroits à tirer de l’arc ; ils tuèrent devant nous les oiseaux les plus petits. il est vrai que leur patience pour les approcher est inexprimable ; ils se cachent et se glissent en quelque sorte auprès du gibier et ne le tirent qu’à quinze pas.

« Leur industrie contre la grosse bête est encore plus admirable. Nous vîmes un Indien ayant une tête de cerf attachée sur la sienne marcher à quatre pattes, avoir l’air de brouter l’herbe et jouer cette pantomime avec une telle vérité, que tous nos chasseurs l’auraient tiré à trente pas s’ils n’eussent été prévenus. Ils approchent ainsi le troupeau de cerfs à la plus petite portée et les tuent à coups de flèches. »

La Pérouse donne ensuite de très grands détails sur le présidio de Lorette et sur les missions de Californie ; mais ces renseignements, qui ont leur valeur historique, ne peuvent ici trouver leur place. Ceux qu’il fournit sur la fécondité du pays rentrent mieux dans notre cadre.

« Les récoltes de maïs, d’orge, de blé et de pois, dit-il, ne peuvent être comparées qu’à celles du Chili ; nos cultivateurs d’Europe ne peuvent avoir aucune idée d’une pareille fertilité ; le produit moyen du blé est de soixante-dix à quatre-vingts pour un ; les extrêmes, soixante ou cent. »

Le 22 septembre, les deux frégates reprirent la mer après avoir reçu un accueil bienveillant du gouverneur espagnol et des missionnaires. Elles emportaient un plein chargement de provisions de toute espèce, qui devaient leur être de la plus grande utilité pendant la longue traversée qu’il leur restait à faire jusqu’à Macao.

La partie de l’Océan que les Français allaient parcourir était presque inconnue. Seuls, les Espagnols la pratiquaient depuis longtemps ; mais leur politique jalouse ne leur avait pas permis de publier les découvertes et les observations qu’ils y avaient faites. D’ailleurs, La Pérouse voulait faire route au sud-ouest jusque par 28° de latitude, où quelques géographes avaient placé l’île de Nuestra-Señora-de-la-Gorta.

Ce fut en vain qu’il la chercha pendant une longue et pénible croisière, durant laquelle les vents contraires mirent plus d’une fois à l’épreuve la patience des navigateurs.

« Nos voiles et nos agrès, dit-il, nous avertissaient, chaque jour, que nous tenions constamment la mer depuis seize mois ; à chaque instant, nos ma-