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LA GUERRE DE COURSE AU XVIIIe SIÈCLE.

sur le Centurion, dernier débris de cette flotte magnifique partie depuis deux ans à peine des côtes d’Angleterre.

Jeté hors de sa route, très loin dans le nord, Anson découvrit, le 20 août, les îles d’Atanacan et de Serigan ; le lendemain, celles de Saypan, Tinian et Agnigan, qui font partie de l’archipel des Mariannes. Un sergent espagnol, qu’il captura dans ces parages sur une petite embarcation, lui apprit que l’île de Tinian était inhabitée et qu’on y trouvait en abondance des bœufs, des volailles et des fruits excellents, tels qu’oranges, limons, citrons, cocos, arbres à pain, etc. Nulle relâche ne pouvait mieux convenir au Centurion, dont l’équipage ne comptait plus que 71 hommes épuisés par les privations et les maladies, seuls survivants des 2,000 matelots qui montaient la flotte à son départ.

« Le terrain y est sec et un peu sablonneux, dit la relation, ce qui rend le gazon des prés et des bois plus fin et plus uni qu’il n’est ordinairement dans les climats chauds ; le pays s’élève insensiblement depuis l’aiguade des Anglais jusqu’au milieu de l’île ; mais, avant que d’arriver à sa plus grande hauteur, on trouve plusieurs clairières en pente, couvertes d’un trèfle fin, qui est entremêlé de différentes sortes de fleurs, et bordées de beaux bois, dont les arbres portent d’excellents fruits… Les animaux, qui pendant la plus grande partie de l’année sont les seuls maîtres de ce beau séjour, font partie de ses charmes romanesques et ne contribuent pas peu à lui donner un air de merveilleux. On y voit quelquefois des milliers de bœufs paître ensemble dans une grande prairie, spectacle d’autant plus singulier que tous ces animaux sont d’un véritable blanc de lait, à l’exception des oreilles, qu’ils ont ordinairement noires. Quoique l’île soit déserte, les cris continuels et la vue d’un grand nombre d’animaux domestiques, qui courent en foule dans les bois, excitent des idées de fermes et de villages. »

Tableau vraiment trop enchanteur ! L’auteur ne lui aurait-il pas prêté bien des charmes qui n’existaient que dans son imagination ? Après une si longue croisière, après tant de tempêtes, il n’est pas étonnant que les grands bois verdoyants, l’exubérance de la végétation, l’abondance de la vie animale, aient fait une profonde impression sur l’esprit des compagnons de lord Anson. Au reste, nous saurons bientôt si ses successeurs à Tinian ont été aussi émerveillés que lui.

Cependant, Anson n’était pas sans inquiétude. Il avait fait réparer son bâtiment, il est vrai, mais beaucoup de malades demeuraient à terre pour s’y rétablir définitivement, et il ne restait plus à bord qu’un petit nombre de matelots. Le fond étant de corail, on dut prendre des précautions pour que les câbles ne fussent pas coupés. Malgré cela, au moment de la nouvelle lune, un vent