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LES EXPLORATEURS DE L'AFRIQUE.

de ce savant voyageur, mort pendant un voyage à la Côte-d’Or. Au moment même où l’ouvrage paraissait, Sparrman vint rassurer sur son sort le bon Le Tourneur, légèrement ahuri de sa bévue.

Le 30 avril 1772, Sparrman mit le pied sur la terre d’Afrique et débarqua au cap de Bonne-Espérance. À cette époque, la ville était petite et ne comptait pas plus de deux mille pas de long sur autant de large, en y comprenant même les jardins et les vergers qui la terminent d’un côté. Les rues étaient larges, plantées de chênes, bordées de maisons blanchies à l’extérieur ou peintes en vert, ce qui ne laissa pas d’étonner Sparrman. Venu au Cap pour servir de précepteur aux enfants de M. Kerste, il ne trouva celui-ci qu’à False-Bay, sa résidence d’hiver. Dès que revint le printemps. Sparrman accompagna M. Kerste à Alphen, propriété que celui-ci possédait près de Constance. Le naturaliste en profita pour faire quelques excursions dans les environs et escalader la montagne de la Table, ce qui ne fut pas sans danger. Ces promenades lui permirent en même temps de connaître la manière de vivre des boers et leurs relations avec leurs esclaves. Les dispositions de ces derniers étaient telles, que chaque habitant était obligé de fermer, durant la nuit, la porte de sa chambre et de tenir près de lui ses armes chargées. Quant aux colons, ils étaient, pour la plupart, d’une bonhomie rude, d’une hospitalité brutale, dont Sparrman donne plusieurs preuves singulières.

« J’arrivai, dit-il, à la demeure d’un fermier nommé Van der Spoei, qui était veuf, né Africain et père de celui que vous connaissez pour le propriétaire du Constance rouge ou vieux Constance.

« Sans faire semblant de m’apercevoir, il demeura immobile dans le passage qui conduisait à sa maison. Lorsque je fus près de lui, il ne fit pas un seul pas pour venir à ma rencontre, mais, me prenant par la main, il me salua de ces mots : « Bonjour, soyez le bienvenu ! — Comment vous portez-vous ? — Qui êtes-vous ? — Un verre de vin ? — Une pipe de tabac ? — Voulez-vous manger quelque chose ? » Je répondis à ses questions avec le même laconisme et j’acceptai ses offres à mesure qu’il les faisait. Sa fille, jeune, bien faite et d’une humeur agréable, âgée de douze à quatorze ans, mit sur la table une magnifique poitrine d’agneau à l’étuvée et garnie de carottes ; après le dîner, elle m’offrit le thé de si bonne grâce que je savais à peine que préférer ou du dîner ou de ma jeune hôtesse. La discrétion et la bonté du cœur étaient lisiblement peintes dans les traits et dans le maintien du père et de la fille. J’adressai plusieurs fois la parole à mon hôte pour l’engager à rompre le silence ; ses réponses furent courtes et discrètes ; mais je remarquai surtout qu’il ne commença jamais, de