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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

sous la condition que la cour de Madrid l’indemniserait de ses frais. Bien plus, il fut chargé par le gouvernement français d’effectuer la remise des Malouines aux commissaires espagnols.

Cette tentative insensée de colonisation fut l’origine et la source de la fortune de Bougainville, car, pour utiliser ce dernier armement, le ministère le chargea de revenir par la mer du Sud et d’y faire des découvertes.

Dans les premiers jours de novembre 1766, Bougainville se rendit à Nantes, où son second, M. Duclos-Guyot, capitaine de brûlot et habile marin vieilli dans les rangs inférieurs parce qu’il n’était pas noble, surveillait les détails de l’armement de la frégate la Boudeuse, de 26 canons.

Ce fut le 15 novembre que Bougainville partit de la rade de Mindin, à l’embouchure de la Loire, pour la rivière de la Plata, où il devait trouver les deux frégates espagnoles la Esmeralda et la Liebre. Mais à peine la Boudeuse avait-elle pris le large, qu’une horrible tempête s’éleva. La frégate, dont le gréement était neuf, fit des avaries assez sérieuses pour être obligée de venir se réparer à Brest, où elle entra le 21 novembre. Cette épreuve avait suffi à son commandant pour se rendre compte que la Boudeuse était peu propre au service qu’on en attendait. Il fit donc diminuer la hauteur des mâts, changea son artillerie pour une autre plus légère ; mais, malgré ces modifications, la Boudeuse ne convenait nullement pour les grosses mers et les tempêtes du cap Horn. Cependant, le rendez-vous était fixé avec les Espagnols, et Bougainville dut reprendre la mer. L’état-major de la frégate se composait de onze officiers et trois volontaires, au nombre desquels était le prince de Nassau-Sieghen. L’équipage comprenait deux cent trois matelots, mousses ou domestiques.

Jusqu’à la Plata, la mer fut assez calme pour permettre à Bougainville de faire nombre d’observations sur les courants, causes fréquentes des erreurs commises par les navigateurs dans leur estime.

Le 31 janvier, la Boudeuse mouilla dans la baie de Montevideo, où l’attendaient, depuis un mois, les deux frégates espagnoles, sous le commandement de D. Philippe Ruis-Puente. Le séjour de Bougainville sur cette rade et bientôt à Buenos-Ayres, où il alla s’entendre avec le gouverneur au sujet de sa mission, le mit à même de recueillir sur la ville et les mœurs de ses habitants des renseignements trop curieux pour que nous les passions sous silence. Buenos-Ayres lui parut beaucoup trop grand pour le nombre de ses habitants, qui ne dépassait pas 20,000. Cela tient à ce que les maisons n’ont qu’un seul étage avec une grande cour et un jardin. Non seulement cette ville n’a pas de port, mais pas même de môle. Aussi les navires sont-ils forcés de décharger leur cargaison sur des