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mathias sandorf.

de provençal et d’italien, — était plus que suffisant à les faire comprendre d’un public dalmate. Depuis leur départ du pays provençal, sans parents qu’ils ne s’étaient jamais connus, véritables produits d’une génération spontanée, ils étaient parvenus à se tirer d’affaire, recherchant les marchés et les foires, vivant plutôt mal que bien, mais vivant, et, s’ils ne déjeunaient pas tous les jours, soupant à peu près tous les soirs ; ce qui suffisait, car, — ainsi que le répétait Pointe Pescade, — « il ne faut pas demander l’impossible ! »

Et pourtant, ce jour-là, si le brave garçon ne le demandait pas, il le tentait du moins, en essayant d’attirer quelques douzaines de spectateurs devant ses tréteaux, avec l’espoir qu’ils se décideraient à visiter sa misérable arène. Mais ni ses boniments, dont son accent étranger faisait une plaisante chose, ni ses coq-à-l’âne, qui eussent fait la fortune d’un vaudevilliste, ni ses grimaces, qui eussent déridé un saint de pierre dans la niche d’une cathédrale, ni ses contorsions et déhanchements, véritables prodiges de dislocation, ni le jeu de sa perruque de chiendent, dont la queue en salsifis balayait l’étoffe rouge de son pourpoint, ni ses saillies, dignes du Pulcinello de Rome ou du Stentarello de Florence, n’avaient d’action sur le public.