Page:Verne - Michel Strogoff - Un drame au Mexique, 1905.djvu/327

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— Oui, tu étais perdu ! répondit le grand-duc. Et comment as-tu pu t’échapper ?

— En me jetant dans l’Irtyche…

— Et tu es entré à Irkoutsk ?…

— À la faveur d’une sortie qui a été faite ce soir même pour repousser un détachement tartare. Je me suis mêlé aux défenseurs de la ville, j’ai pu me faire reconnaître, et l’on m’a aussitôt conduit devant Votre Altesse.

— Bien, Michel Strogoff, répondit le grand-duc. Tu as montré du courage et du zèle pendant cette difficile mission. Je ne t’oublierai pas. — As-tu quelque faveur à me demander ?

— Aucune, si ce n’est celle de me battre à côté de Votre Altesse, répondit Ivan Ogareff.

— Soit, Michel Strogoff. Je t’attache dès aujourd’hui à ma personne, et tu seras logé dans ce palais.

— Et si, conformément à l’intention qu’on lui prête, Ivan Ogareff se présente à Votre Altesse sous un faux nom ?…

— Nous le démasquerons, grâce à toi, qui le connais, et je le ferai mourir sous le knout. Va. »

Ivan Ogareff salua militairement le grand-duc, n’oubliant pas qu’il était capitaine au corps des courriers du czar, et il se retira.

Ivan Ogareff venait donc de jouer avec succès son indigne rôle. La confiance du grand-duc lui était accordée pleine et entière. Il pourrait en abuser où et quand il lui conviendrait. Il habiterait ce palais même. Il serait dans le secret des opérations de la défense. Il tenait donc la situation dans sa main. Personne dans Irkoutsk ne le connaissait, personne ne pouvait lui arracher son masque. Il résolut donc de se mettre à l’œuvre sans retard.

En effet, le temps pressait. Il fallait que la ville fût rendue avant l’arrivée des Russes du nord et de l’est, et c’était une question de quelques jours. Les Tartares une fois maîtres d’Irkoutsk, il ne serait pas facile de la leur reprendre. En tout cas, s’ils devaient l’abandonner plus tard, ils ne le feraient pas sans l’avoir ruinée de fond en comble, sans que la tête du grand-duc eût roulé aux pieds de Féofar-Khan.

Ivan Ogareff, ayant toute facilité de voir, d’observer, d’agir, s’occupa dès le lendemain de visiter les remparts. Partout il fut accueilli avec de cordiales félicitations par les officiers, les soldats, les citoyens. Ce courrier du czar était pour eux comme un lien qui venait de les rattacher à l’empire. Ivan Ogareff raconta donc, avec un aplomb qui ne se démentit jamais, les fausses péripéties de son