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mistress branican.

croire, ces idées-là étaient forcées à coups de maillet dans son cerveau comme des gournables dans la membrure d’un navire ! Lui aussi se répétait qu’on n’avait retrouvé que cinq naufragés sur quatorze, que ceux-ci avaient pu quitter l’île Browse, qu’on errait en affirmant qu’il eût été impossible de construire une embarcation avec les débris du Franklin. Il est vrai, on ignorait ce qu’ils étaient devenus depuis si longtemps ? Mais Zach Fren n’y voulait pas songer, et ce n’était pas sans effroi que M. William Andrew le voyait entretenir Dolly dans ces illusions. N’y avait-il pas lieu de craindre que cette surexcitation devînt dangereuse pour un cerveau que la folie avait déjà frappé ?… Mais, lorsque M. William Andrew voulait entreprendre le maître à ce sujet, celui-ci s’entêtait dans ses idées et répondait :

« Je n’en démordrai pas plus qu’une maîtresse ancre, quand ses pattes sont solides et que la tenue est bonne ! »

Plusieurs années s’écoulèrent. En 1890, il y avait quatorze ans que le capitaine John Branican et les hommes du Franklin avaient quitté le port de San-Diégo. Mrs. Branican était alors âgée de trente-sept ans. Si ses cheveux commençaient à blanchir, si la chaude coloration de son teint se faisait plus mate, ses yeux étaient toujours animés du même feu qu’autrefois. Il ne semblait pas qu’elle eût rien perdu de ses forces physiques et morales, rien perdu de cette énergie qui la caractérisait, et dont elle n’attendait qu’une occasion pour donner de nouvelles preuves.

Que ne pouvait-elle, à l’exemple de lady Franklin, organiser expéditions sur expéditions, dépenser sa fortune entière pour retrouver les traces de John et de ses compagnons ? Mais où les aller chercher ?… L’opinion générale n’était-elle pas que ce drame maritime avait eut le même dénouement que l’expédition de l’illustre amiral anglais ?… Les marins du Franklin n’avaient-ils pas succombé dans les parages de l’île Browse, comme les marins de l’Erebus et du Terror avaient péri au milieu des glaces des mers arctiques ?…

Pendant ces longues années, qui n’avaient apporté aucun éclair-