Page:Verne - Mistress Branican, Hetzel, 1891.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
257
un chapeau historique.

Pitt quand il entra à vingt-trois ans au ministère, le bicorne de Napoléon Ier à Wagram, enfin cent autres non moins curieux. Son plus vif chagrin était de ne point posséder la calotte qui coiffait Noé le jour où l’arche s’arrêtait sur la cime du mont Ararat, et le bonnet d’Abraham au moment où ce patriarche allait sacrifier Isaac. Mais Jos Meritt ne désespérait pas de les découvrir un jour. Quant aux cidares que devaient porter Adam et Ève, lorsqu’ils furent chassés du paradis terrestre, il avait renoncé à se les procurer, des historiens dignes de foi ayant établi que le premier homme et la première femme avaient l’habitude d’aller nu-tête.

On voit, par cet étalage très succinct des curiosités du musée Jos Meritt, en quelles occupations vraiment enfantines s’écoulait la vie de cet original. C’était un convaincu, il ne doutait pas de l’authenticité de ses trouvailles, et ce qu’il lui avait fallu parcourir de pays, visiter de villes et de villages, fouiller de boutiques et d’échoppes, fréquenter de fripiers et de revendeurs, dépenser de temps et d’argent pour n’atteindre, après des mois de recherches, qu’une loque qu’on ne lui vendait qu’au poids de l’or ! C’était le monde entier qu’il réquisitionnait afin de mettre la main sur quelque objet introuvable, et, maintenant qu’il avait épuisé les stocks de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique, de l’Océanie par lui-même, par ses correspondants, par ses courtiers, par ses voyageurs de commerce, voici qu’il s’apprêtait à fouiller, jusque dans ses plus inabordables retraites, le continent australien !

Il y avait une raison à cela — raison que d’autres eussent sans doute regardée comme insuffisante, mais qui lui paraissait des plus sérieuses. Ayant été informé que les nomades de l’Australie se coiffaient volontiers de chapeaux d’homme ou de femme — en quel état de dépenaillement, on l’imagine ! — sachant d’autre part que des cargaisons de ces vieux débris étaient régulièrement expédiées dans les ports du littoral, il en avait conclu qu’il y aurait peut-être là « quelque beau coup à faire », pour parler le langage des amateurs d’antiquailles.