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en remontant vers le nord.

À de tels êtres, la nature a donné la femme qui leur convient, la « lubra » assez vigoureusement constituée pour résister aux fatigues de la vie nomade, se soumettre aux travaux les plus pénibles, porter les enfants en bas âge et le matériel de campement. Ces malheureuses créatures sont vieilles à vingt-cinq ans, et non seulement vieilles, mais hideuses, chiquant les feuilles du « pituri », qui les surexcite pendant les interminables marches, et les aide parfois à endurer de longues abstinences.

Eh bien, le croirait-on ? Celles qui se trouvent en rapport avec les colons européens dans les bourgades commencent à suivre les modes européennes. Oui ! Il leur faut des robes et des queues à ces robes ! Il leur faut des chapeaux et des plumes à ces chapeaux ! Les hommes ne sont même pas indifférents au choix de leurs propres coiffures, et ils épuisent, pour satisfaire ce goût, le fond des revendeurs.

Sans nul doute, Jos Meritt avait eu connaissance du remarquable voyage exécuté par Carl Lumholtz en Australie. Et comment n’aurait-il pas retenu ce passage du hardi voyageur norvégien, dont le séjour se prolongea au delà de six mois chez les farouches cannibales du nord-est ?

« Je rencontrai à mi-chemin mes deux indigènes… Ils s’étaient faits très beaux : l’un se pavanait en chemise, l’autre s’était coiffé d’un chapeau de femme. Ces vêtements, fort appréciés par les nègres australiens, passent d’une tribu à l’autre, des plus civilisées qui vivent à proximité des colons, à celles qui n’ont jamais aucun rapport avec les blancs. Plusieurs de mes hommes (des indigènes) empruntèrent le chapeau ; ils mettaient une sorte de fierté à se parer tour à tour de cette coiffure. L’un de ceux qui me précédaient, in puris naturalibus, suant sous le poids de mon fusil, était vraiment drôle à voir, coiffé de ce chapeau de femme posé de travers. Quelles péripéties avait dû traverser cette capote au cours de son long voyage du pays des blancs aux montagnes des sauvages ! »

C’était bien ce que savait Jos Meritt, et peut-être serait-ce au