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sur le saint-john.

John, il aurait été facile de le suivre et de le poursuivre, si quelque embarcation confédérée l’eût attendu au passage — ce que Gilbert et son compagnon ne croyaient pas avoir lieu de craindre.

Tous deux gardaient un profond silence. Au lieu de descendre ce fleuve, ils auraient voulu le traverser pour aller chercher Texar jusque dans Jacksonville, pour se rencontrer face à face avec lui. Et alors, remontant le Saint-John, ils eussent fouillé toutes les forêts, toutes les criques de ses rives. Où M. James Burbank avait échoué, ils auraient réussi peut-être. Et pourtant, il n’était que sage d’attendre. Lorsque les fédéraux seraient maîtres de la Floride, Gilbert et Mars pourraient agir avec plus de chances de succès vis-à-vis de l’Espagnol. D’ailleurs, le devoir leur ordonnait de rejoindre avant le jour la flottille du commandant Stevens. Si la barre devenait praticable plus tôt qu’on ne l’espérait, ne fallait-il pas que le jeune lieutenant fût à son poste de combat, et Mars au sien, pour piloter les canonnières à travers ce chenal, dont il connaissait la profondeur à tout instant de la mer montante ?

Mars, assis à l’arrière du gig, maniait sa pagaie avec vigueur. Devant lui, Gilbert observait soigneusement le cours du fleuve en amont, prêt à signaler tout obstacle ou tout danger qui se présenterait, barque ou tronc en dérive. Après s’être obliquement écartée de la rive droite, afin de prendre le milieu du chenal, la légère embarcation n’aurait plus qu’à suivre le fil du courant, où elle se maintiendrait d’elle-même. Jusque-là, il suffisait que, d’un mouvement de la main, Mars forçât sur babord ou sur tribord pour tenir une direction convenable.

Sans doute, mieux eût valu ne point s’éloigner de la sombre lisière d’arbres et de roseaux gigantesques, qui bordent la rive droite du Saint-John. À la longer sous la retombée des épaisses ramures, on risquait moins d’être aperçu. Mais, un peu au-dessous de la plantation, un coude très accusé de la rive renvoie le courant vers l’autre bord. Il s’est établi là un large remous, qui eût rendu la navigation du gig infiniment plus pénible tout en retardant sa marche. Aussi Mars, ne voyant rien de suspect en aval, cherchait-il plutôt à s’abandonner aux eaux vives du milieu qui descendent rapidement vers l’em-