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le retour.

des fois, et la bise piquait ferme. Tous avaient les yeux rougis par le froid, la face gercée. À la barbe de M. Martin et de ses fils pendaient de petits cristaux de glace, ce qui leur faisait comme des têtes de plâtre.

Il est vrai, un bon feu de racines et de tourbe que Grand’mère avait entretenu, flambait au fond de l’âtre. On s’y réchauffait, on s’asseyait devant la table, sur laquelle fumait quelque morceau de lard aux choux à forte odeur, entre un plat de pommes de terre brûlantes sous leur enveloppe rougeâtre, et une omelette dont les œufs avaient été soigneusement choisis selon leur ordre numérique.

Puis, la journée s’écoulait en lectures, en causeries, lorsque le temps ne permettait pas de sortir. P’tit-Bonhomme, sérieux et attentif, tirait profit de ce qu’il entendait.

La saison s’avançait. Février fut très froid, et mars très pluvieux. L’époque approchait où les labours allaient recommencer. En somme, l’hiver, n’ayant pas été d’une extrême rigueur, ne semblait pas devoir se prolonger. Les ensemencements se feraient en de bonnes conditions. Les tenanciers seraient en mesure de répondre aux exigences des propriétaires pour les fermages de la prochaine Noël, sans être exposés à ces funestes évictions dont tant de districts sont le théâtre, lorsque la récolte a manqué, et qui dépeuplent des paroisses entières[1].

Cependant, ainsi que l’on dit, il y avait un point noir à l’horizon de la ferme.

Deux ans auparavant, le second fils, Pat, était parti sur le navire de commerce Guardian, appartenant à la maison Marcuard de Liverpool. Deux lettres de lui étaient arrivées, après son passage à travers les mers du Sud ; la dernière remontait à neuf ou dix mois, et, depuis lors, les nouvelles faisaient absolument défaut. M. Martin avait écrit à Liverpool, cela va sans dire. Or, la réponse n’avait point été satisfaisante. On n’avait rien appris ni par les courriers ni par

  1. C’est depuis 1870, que les fermiers ne peuvent plus être expulsés sans recevoir une indemnité pour les améliorations qu’ils ont faites au sol.