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au fond du connaught.

plupart tenant leurs chaussures à la main, non seulement par désir de ne point les user, mais aussi parce qu’ils étaient plus à l’aise, ayant l’habitude de marcher pieds nus.

Cependant, faisons une exception pour certains notables de Westport, appartenant à ce public bête des dimanches. Tel le boulanger, qui s’est arrêté avec sa femme et ses deux enfants. Il est vrai, son « tweed » date déjà de quelques années, et l’on sait que les années comptent double et même triple sous le climat pluvieux de l’Irlande ; mais le digne patron est présentable, en somme. Ne se doit-il pas à sa boutique pompeusement désignée par cette enseigne : « Boulangerie publique centrale » ! Et, en effet, elle centralise si bien les produits de sa fabrication qu’il n’y en a pas d’autre à Westport. Là se voit également le droguiste, lequel réclame volontiers le titre de pharmacien, bien que son office soit dépourvu des drogues les plus usuelles, et pourtant, sur la devanture se détachent ces mots : Medical Hall, tracés en lettres superbes, qui devraient vous guérir rien qu’en les regardant.

Il faut noter encore qu’un prêtre a fait halte devant la charrette de Thornpipe. Cet ecclésiastique porte un costume très propre : col en soie, long gilet dont les boutons sont rapprochés comme ceux d’une soutane, vaste lévite en étoffe noire. C’est le chef de la paroisse, où il exerce de multiples fonctions. Il ne se contente pas, en effet, de baptiser, de confesser, de marier, d’« extrémiser » ses fidèles, il les conseille dans leurs affaires, il les soigne dans leurs maladies, il agit avec une complète indépendance, car il ne relève de l’État ni par son traitement ni par ses attributions. Les dîmes en nature ou les honoraires des cérémonies religieuses, — ce qu’on appelle le casuel en d’autres pays, — lui assurent une vie honorable et facile. Il est l’administrateur naturel des écoles et des maisons de charité, — ce qui ne l’empêche pas de présider les concours de sports nautiques ou hippiques, lorsque régates ou steeples-chases mettent la paroisse en fête. Il est intimement mêlé à l’existence familiale de ses ouailles, il est respecté, car il est respectable, même lorsqu’il