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p’tit-bonhomme.

voir partir cet argent si péniblement arraché du sol d’autrui, Murdock s’était-il hâté de sortir, dès qu’on avait aperçu le receveur. C’était toujours là l’inquiétude de l’avenir. Heureusement l’hiver était assuré, et les réserves permettraient de recommencer les labours au printemps sans dépense supplémentaire.

Avec la nouvelle année survinrent des froids excessifs. On ne quittait plus guère la ferme. Il est vrai, le travail ne manquait pas à l’intérieur. Ne fallait-il pas pourvoir à la nourriture et à l’entretien des animaux ? P’tit-Bonhomme était chargé spécialement de la basse-cour, et l’on pouvait s’en rapporter à lui. Les poules et les poussins étaient aussi soigneusement traités qu’enregistrés. Entre-temps, il n’oubliait pas qu’il avait une filleule. Quelle joie il éprouvait à tenir Jenny sur ses bras, à provoquer son sourire en lui souriant, à lui chanter des chansons, à la bercer pour l’endormir, lorsque sa mère était occupée de quelque besogne ! C’est qu’il avait pris ses fonctions au sérieux. Un parrain, c’est presque un père, et il regardait la petite fille comme son enfant. À son sujet, il formait des projets d’avenir très ambitieux. Elle n’aurait pas d’autre maître que lui… Il lui apprendrait à parler d’abord, puis à lire, à écrire, enfin « à tenir sa maison » plus tard…

Observons ici que P’tit-Bonhomme avait profité des leçons de M. Martin et de ses fils, surtout de celles que lui donnait Murdock. À cet égard, il n’en était plus où l’avait laissé Grip — ce pauvre Grip, qui occupait toujours sa pensée, et dont le souvenir ne devait jamais s’effacer…

Le printemps reparut sans trop de retard, à la suite d’un hiver qui avait été assez rude. Le jeune berger, accompagné de son ami Birk, reprit sa tâche habituelle. Sous sa garde, les moutons et les chèvres retournèrent à travers les pâtures dans un rayon d’un mille autour de la ferme. Combien il lui tardait que son âge lui permît de prendre part aux travaux de labour, exigeant une vigueur dont il était encore dépourvu, à son vif chagrin. Quelquefois, il en parlait à Grand’mère, qui lui répondait en hochant la tête :