Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
p’tit-bonhomme.

Murdock acheva sa phrase par un geste qui fit reculer le régisseur. Et alors, laissant sortir de son cœur tout ce que l’injustice sociale y avait amassé de colères, il le fit avec l’énergie que comporte la langue irlandaise — cette langue dont on a pu dire : « Quand vous plaidez pour votre vie, plaidez en irlandais ! » Et, c’était bien pour sa vie, pour la vie de tous les siens, qu’il se laissait entraîner à de si terribles récriminations.

Puis, son cœur soulagé, il alla s’asseoir à l’écart.

Sim sentait l’indignation bouillonner en lui comme le feu dans une fournaise.

Martin Mac Carthy, la tête baissée, n’osait pas interrompre le silence accablant qui avait suivi les violentes paroles de Murdock.

D’autre part, Harbert ne cessait de regarder ces gens avec autant de mépris que d’arrogance.

Martine se leva, et s’adressant au régisseur :

« Monsieur, lui dit-elle, c’est moi qui viens vous implorer… vous demander un délai… Cela nous permettra de vous payer… quelques mois seulement… et à force de travail… quand nous devrions mourir à la peine !… Monsieur, je vous supplie… je vous prie à genoux… par pitié !… »

Et la malheureuse femme s’abaissait devant cet homme impitoyable, qui l’insultait rien que par son attitude.

« Assez, ma mère !… Trop… trop d’humiliation ! dit Murdock, qui obligea Martine à se relever. Ce n’est pas par des prières que l’on répond à de tels misérables…

— Non, répliqua Harbert, et je n’ai que faire de tant de paroles ! De l’argent… de l’argent à l’instant même, ou, avant huit jours, vous serez chassés…

— Avant huit jours, soit ! s’écria Murdock. Mais c’est vous, d’abord, que je vais jeter à la porte de cette maison, où nous sommes encore les maîtres… »

Et, se précipitant sur le régisseur, il le prit à bras-le-corps, il le poussa dans la cour.