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leurs seigneuries.

« Ah ! c’est vous, comte Ashton ? » dit lord Piborne.

Le marquis et la marquise n’eussent jamais négligé de donner ce titre à leur fils, lequel aurait cru manquer à tous les devoirs de sa naissance s’il n’eût répondu :

« Je vous souhaite le bonjour, mylord mon père ! »

Puis il s’avança vers milady sa mère, dont il baisa cérémonieusement la main.

Ce jeune gentleman de quatorze ans avait une figure régulière, d’une insignifiance rare, et une physionomie qui, même avec les années, ne devait gagner ni en vivacité ni en intelligence. C’était bien le produit naturel d’un marquis et d’une marquise arriérés de deux siècles, réfractaires à tous les progrès de la vie moderne, véritables torys d’avant Cromwell, deux types irréductibles. L’instinct de race faisait qu’il se tenait assez convenablement, ce garçon, qu’il restait comte jusqu’au bout des ongles, quoiqu’il eût été gâté par la marquise, et que les serviteurs du château fussent stylés à satisfaire ses moindres caprices. En réalité, il ne possédait aucune des qualités de son âge, ni les bons mouvements de prime-saut, ni les vivacités du cœur, ni l’enthousiasme de la jeunesse.

C’était un petit monsieur élevé à ne voir que des inférieurs parmi ceux qui l’approchaient, peu pitoyable aux pauvres gens, très instruit déjà des choses de sport, équitation, chasse, courses, jeux de croquet ou de tennis, mais d’une ignorance à peu près complète, malgré la demi-douzaine d’instituteurs qui avaient accepté l’inutile tâche de l’instruire.

Le nombre de ces jeunes gentlemen de haute naissance, destinés à être un jour de parfaits imbéciles, d’une parfaite distinction d’ailleurs, montre certainement une tendance à se restreindre. Cependant il en existe encore, et le comte Ashton Piborne était de ceux-là.

La question du portefeuille lui fut exposée. Il se rappelait que mylord son père tenait ledit portefeuille à la main à l’instant où il