Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
p’tit-bonhomme.

stable. Mais elles s’ouvrent si fréquemment, les cataractes du ciel sur l’Île Émeraude !

Il était donc rare qu’un jour s’écoulât, sans que le supplice du cabriolet se fût produit, soit pour aller parader à Kanturk, soit pendant de longues promenades aux environs de Trelingar Castle. Le long de ces routes, couraient et gambadaient, pieds nus, écorchés par les cailloux, des bandes de gamins, à peine vêtus de guenilles, et criant d’une voix essoufflée : « coppers… coppers ! » P’tit-Bonhomme sentait son cœur se gonfler. Il avait éprouvé ces misères, il y compatissait… Le comte Ashton accueillait ces déguenillés par des quolibets ou des injures, les menaçant de son fouet, lorsqu’ils s’approchaient… L’envie prenait alors à notre jeune garçon de jeter quelque menue pièce de cuivre… Il n’osait par crainte d’exciter la colère de son maître.

Une fois, cependant, la tentation fut trop forte. Une enfant de quatre ans, toute frêle, toute gentille avec ses boucles blondes, le regarda de ses jolis yeux bleus, en lui demandant un copper… Le copper fut lancé à la petite qui le ramassa, en poussant un cri de joie…

Ce cri, le comte Ashton l’entendit. Il saisissait son groom en flagrant délit de charité.

« Que t’es-tu permis là, boy ?… demanda-t-il.

— Monsieur le comte… cette fillette… cela lui fait tant de plaisir… rien qu’un copper…

— Comme on t’en jetait, n’est-ce pas, lorsque tu courais les grandes routes ?…

— Non… jamais !… s’écria P’tit-Bonhomme, se révoltant toujours quand on l’accusait d’avoir tendu la main.

— Pourquoi as-tu fait l’aumône à cette mendiante ?…

— Elle me regardait… je la regardais…

— Je te défends de regarder les enfants qui traînent sur les chemins… Tiens-le-toi pour dit ! »

Et P’tit-Bonhomme dut obéir, mais combien exaspéré de cette dureté de cœur.