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DIVERS INCIDENTS

ces d’anciens villages. Un voyageur habitué à parcourir ces régions, ainsi que l’a fait David Livingstone, ne s’y fût pas trompé. À voir ces hautes palissades d’euphorbes qui survivaient aux huttes de chaume, et ce figuier sacré, isolément dressé au milieu de l’enceinte, il eût affirmé qu’une bourgade s’était élevée là. Mais, suivant les usages indigènes, la mort d’un chef avait suffi pour obliger les habitants à abandonner leur demeure, et à la transporter en un autre point du territoire.

Peut-être aussi, dans cette contrée que traversait la rivière, des tribus vivaient-elles sous terre comme en d’autres parties de l’Afrique. Ces sauvages, placés au dernier degré de l’humanité, n’apparaissent que la nuit hors de leurs trous comme des animaux hors de leur tanière, et les uns eussent été aussi redoutables à rencontrer que les autres.

Quant à douter que ce fût bien ici le pays des anthropophages, Dick Sand ne le pouvait pas. Trois ou quatre fois, dans quelque clairière, au milieu de cendres à peine refroidies, il trouva des ossements humains à demi calcinés, restes de quelque horrible repas. Or, ces cannibales du haut Kazonndé, une funeste chance pouvait les amener sur ces berges, au moment où Dick Sand y débarquait. Aussi ne s’arrêtait-il plus sans grande nécessité, et non sans avoir fait promettre à Hercule qu’à la moindre alerte l’embarcation serait repoussée au large. Le brave noir l’avait promis, mais, lorsque Dick Sand prenait pied sur la rive, ce n’était pas sans peine qu’il cachait sa mortelle inquiétude à Mrs Weldon.

Pendant la soirée du 10 juillet, il fallut redoubler de prudence. Sur la droite de la rivière s’élevait un village d’habitations lacustres. L’élargissement du lit avait formé là une sorte de lagon, dont les eaux baignaient une trentaine de huttes bâties sur pilotis. Le courant s’engageait sous ces huttes, et l’embarcation devait l’y suivre, car, vers la gauche, la rivière, semée de roches, n’était pas praticable.

Or, le village était habité. Quelques feux brillaient au-dessous des chaumes. On entendait des voix qui semblaient tenir du rugissement. Si par malheur, ainsi que cela arrive fréquemment, des filets étaient tendus entre les pilotis, l’éveil pourrait être donné pendant que la pirogue chercherait à forcer le passage.

Dick Sand, à l’avant, baissant la voix, donnait des indications pour éviter tout choc contre ces substructions vermoulues. La nuit était claire. On y voyait assez pour se diriger, mais assez aussi pour être vu.

Il y eut un terrible instant. Deux indigènes, qui causaient à voix haute, étaient