Page:Verne - Vingt mille lieues sous les mers.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

telles brodées par la main des naïades, dont les festons se balançaient aux faibles ondulations provoquées par notre marche. C’était un véritable chagrin pour moi d’écraser sous mes pas les brillants spécimens de mollusques qui jonchaient le sol par milliers, les peignes concentriques, les marteaux, les donaces, véritables coquilles bondissantes, les troques, les casques rouges, les strombes aile-d’ange, les aphysies, et tant d’autres produits de cet inépuisable Océan. Mais il fallait marcher, et nous allions en avant, pendant que voguaient au-dessus de nos têtes des troupes de physalies, laissant leurs tentacules d’outre-mer flotter à la traîne, des méduses dont l’ombrelle opaline ou rose tendre, festonnée d’un liston d’azur, nous abritait des rayons solaires, et des pélagies panopyres, qui, dans l’obscurité, eussent semé notre chemin de lueurs phosphorescentes !

Toutes ces merveilles, je les entrevis dans l’espace d’un quart de mille, m’arrêtant à peine, et suivant le capitaine Nemo, qui me rappelait d’un geste. Bientôt, la nature du sol se modifia. À la plaine de sable succéda une couche de vase visqueuse que les Américains nomment « oaze », uniquement composée de coquilles siliceuses ou calcaires. Puis, nous parcourûmes une prairie d’algues, plantes pélagiennes que les eaux n’avaient pas encore arrachées, et dont la végétation était fougueuse. Ces pelouses à tissu serré, douces au pied, eussent rivalisé avec les plus moelleux tapis tissés par la main des hommes. Mais, en même temps que la verdure s’étalait sous nos pas, elle n’abandonnait pas nos têtes. Un léger berceau de plantes marines, classées dans cette exubérante famille des algues, dont on connaît plus de deux mille espèces, se croisait à la surface des eaux. Je voyais flotter de longs rubans de fucus, les uns globuleux, les autres tubulés, des laurencies, des cladostèphes, au feuillage si délié, des rhodymènes palmés, semblables à des éventails de cactus. J’observai que les plantes vertes se maintenaient plus près de la surface de la mer, tandis que les rouges occupaient une profondeur moyenne, laissant aux hydrophytes noires ou brunes le soin de former les jardins et les parterres des couches reculées de l’Océan.

Ces algues sont véritablement un prodige de la création, une des merveilles de la flore universelle. Cette famille produit à la fois les plus petits et les plus grands végétaux du globe. Car de même qu’on a compté quarante mille de ces imperceptibles plantules dans un espace de cinq millimètres carrés, de même on a recueilli des fucus dont la longueur dépassait cinq cents mètres.

Nous avions quitté le Nautilus depuis une heure et demie environ. Il était près de midi. Je m’en aperçus à la perpendicularité des rayons solaires qui ne se réfractaient plus. La magie des couleurs disparut peu à