Page:Verne - Vingt mille lieues sous les mers.djvu/328

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Mes regards se reportèrent sur le manomètre. L’instrument indiquait une profondeur de six mille mètres. Notre immersion durait depuis une heure. Le Nautilus, glissant sur ses plans inclinés, s’enfonçait toujours. Les eaux désertes étaient admirablement transparentes et d’une diaphanité que rien ne saurait peindre. Une heure plus tard, nous étions par treize mille mètres, — trois lieues et quart environ, — et le fond de l’Océan ne se laissait pas pressentir.

Cependant, par quatorze mille mètres, j’aperçus des pics noirâtres qui surgissaient au milieu des eaux. Mais ces sommets pouvaient appartenir à des montagnes hautes comme l’Hymalaya ou le Mont-Blanc, plus hautes même, et la profondeur de ces abîmes demeurait inévaluable.

Le Nautilus descendit plus bas encore, malgré les puissantes pressions qu’il subissait. Je sentais ses tôles trembler sous la jointure de leurs boulons ; ses barreaux s’arquaient ; ses cloisons gémissaient ; les vitres du salon semblaient se gondoler sous la pression des eaux. Et ce solide appareil eût cédé sans doute, si, ainsi que l’avait dit son capitaine, il n’eût été capable de résister comme un bloc plein.

En rasant les pentes de ces roches perdues sous les eaux, j’apercevais encore quelques coquilles, des serpula, des spinorbis vivantes, et certains échantillons d’astéries.

Mais bientôt ces derniers représentants de la vie animale disparurent, et, au-dessous de trois lieues, le Nautilus dépassa les limites de l’existence sous-marine, comme fait le ballon qui s’élève dans les airs au-dessus des zones respirables. Nous avions atteint une profondeur de seize mille mètres, — quatre lieues, — et les flancs du Nautilus supportaient alors une pression de seize cents atmosphères, c’est-à-dire seize cents kilogrammes par chaque centimètre carré de sa surface !

« Quelle situation ! m’écriai-je. Parcourir dans ces régions profondes où l’homme n’est jamais parvenu ! Voyez, capitaine, voyez ces rocs magnifiques, ces grottes inhabitées, ces derniers réceptacles du globe, où la vie n’est plus possible ! Quels sites inconnus et pourquoi faut-il que nous soyons réduits à n’en conserver que le souvenir ?

— Vous plairait-il, me demanda le capitaine Nemo, d’en rapporter mieux que le souvenir ?

— Que voulez-vous dire par ces paroles ?

— Je veux dire que rien n’est plus facile que de prendre une vue photographique de cette régions sous-marine ! »

Je n’avais pas eu le temps d’exprimer la surprise que me causait cette nouvelle proposition, que sur un appel du capitaine Nemo, un objectif était apporté dans le salon. Par les panneaux largement ouverts, le milieu