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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

Les voyageurs vinrent à regretter promptement le chemin à peu près uni, presque facile, des ice-fields si propices au glissage du traîneau. Maintenant, il fallait tirer avec force. Les chiens, éreintés, n’y suffisaient plus ; les hommes, forcés de s’atteler près d’eux, s’épuisaient à les soulager. Plusieurs fois, il devint nécessaire de décharger entièrement les provisions pour franchir des monticules extrêmement roides, dont les surfaces glacées ne donnaient aucune prise. Tel passage de dix pieds demanda des heures entières ; aussi, pendant cette première journée, on gagna cinq milles à peine sur cette terre de Cornouailles, bien nommée, assurément, car elle présentait les aspérités, les pointes aiguës, les arêtes vives, les roches convulsionnées de l’extrémité sud-ouest de l’Angleterre.

Le lendemain, le traîneau atteignit la partie supérieure des falaises ; les voyageurs, à bout de forces, ne pouvant construire leur maison de neige, durent passer la nuit sous la tente, enveloppés dans les peaux de buffle et réchauffant leurs bas mouillés sur leur poitrine. On comprend les conséquences inévitables d’une pareille hygiène ; le thermomètre, pendant cette nuit, descendit plus bas que quarante-quatre degrés (−42° centig.), et le mercure gela.

La santé de Simpson s’altérait d’une façon inquiétante ; un rhume de poitrine opiniâtre, des rhumatismes violents, des douleurs intolérables, l’obligeaient à se coucher sur le traîneau, qu’il ne pouvait plus guider. Bell le remplaça ; il souffrait, mais ses souffrances n’étaient pas de nature à l’aliter. Le docteur ressentait aussi l’influence de cette excursion par un hiver terrible ; cependant, il ne laissait pas une plainte s’échapper de sa poitrine ; il marchait en avant, appuyé sur son bâton ; il éclairait la route, il aidait à tout. Hatteras, impassible, impénétrable, insensible, valide comme au premier jour avec son tempérament de fer, suivait silencieusement le traîneau.

Le 20 janvier, la température fut si rude que le moindre effort amenait immédiatement une prostration complète. Cependant les difficultés du sol devinrent telles que le docteur, Hatteras et Bell s’attelèrent près des chiens ; des chocs inattendus avaient brisé le devant du traîneau ; on dut le raccommoder. Ces causes de retard se reproduisaient plusieurs fois par jour.

Les voyageurs suivaient une profonde ravine, engagés dans la neige jusqu’à mi-corps, et suant au milieu d’un froid violent. Ils ne disaient mot. Tout à coup Bell, placé près du docteur, le regarde avec effroi ; puis, sans prononcer une parole, il ramasse une poignée de neige et en frotte vigoureusement la figure de son compagnon.

« Eh bien, Bell ! » faisait le docteur en se débattant.

Mais Bell continuait et frottait de son mieux.