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LES ANGLAIS AU POLE NORD

Ce sera un fin navire, ce Forward, et, muni d’une bonne machine, il pourra aller loin. Dix-huit hommes d’équipage, c’est tout ce qu’il nous faut.

— Dix-huit hommes, répliqua maître Johnson, autant que l’Américain Kane en avait à bord, quand il a fait sa fameuse pointe vers le pôle.

— C’est toujours singulier, reprit Wall, qu’un particulier tente encore de traverser la mer du détroit de Davis au détroit de Behring. Les expéditions envoyées à la recherche de l’amiral Franklin ont déjà coûté plus de sept cent soixante mille livres[1] à l’Angleterre, sans produire aucun résultat pratique ! Qui diable peut encore risquer sa fortune dans une entreprise pareille ?

— D’abord, James, répondit Shandon, nous raisonnons sur une simple hypothèse. Irons-nous véritablement dans les mers boréales ou australes ? Je l’ignore. Il s’agit peut-être de quelque nouvelle découverte à tenter. Au surplus, il doit se présenter un jour ou l’autre un certain docteur Clawbonny, qui en saura sans doute plus long, et sera chargé de nous instruire. Nous verrons bien.

— Attendons alors, dit maître Johnson ; pour ma part, je vais me mettre en quête de solides sujets, commandant ; et quant à leur principe de chaleur animale, comme dit le capitaine, je vous le garantis d’avance. Vous pouvez vous en rapporter à moi.

Ce Johnson était un homme précieux ; il connaissait la navigation des hautes latitudes. Il se trouvait en qualité de quartier-maître à bord du Phénix, qui fit partie des expéditions envoyées en 1853 à la recherche de Franklin ; ce brave marin fut même témoin de la mort du lieutenant français Bellot, qu’il accompagnait dans son excursion à travers les glaces. Johnson connaissait le personnel maritime de Liverpool, et se mit immédiatement en campagne pour recruter son monde.

Shandon, Wall et lui firent si bien que, dans les premiers jours de décembre, leurs hommes se trouvèrent au complet ; mais ce ne fut pas sans difficultés ; beaucoup se sentaient alléchés par l’appât de la haute paye, que l’avenir de l’expédition effrayait, et plus d’un s’engagea résolument, qui vint plus tard rendre sa parole et ses à-compte, dissuadé par ses amis de tenter une pareille entreprise. Tous d’ailleurs essayaient de percer le mystère, et pressaient de questions le commandant Richard. Celui-ci les renvoyait à maître Johnson.

« Que veux-tu que je te dise, mon ami ? répondait invariablement ce dernier ; je n’en sais pas plus long que toi. En tout cas, tu seras en bonne compagnie avec des lurons qui ne broncheront pas ; c’est quelque chose, cela ! ainsi donc, pas tant de réflexions : c’est à prendre ou à laisser ! »

  1. Dix-neuf millions.