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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

et, à un tournant du vallon, ils aperçurent un troupeau de huit ou dix rennes qui broutaient quelques lichens à demi enterrés sous la neige, animaux charmants à voir, gracieux et tranquilles, avec ces andouillers dentelés que la femelle portait aussi fièrement que le mâle ; leur pelage, d’apparence laineuse, abandonnait déjà la blancheur hivernale pour la couleur brune et grisâtre de l’été ; ils ne paraissaient ni plus effrayés ni moins apprivoisés que les lièvres ou les oiseaux de cette contrée paisible. Telles durent être les relations du premier homme avec les premiers animaux, au jeune âge du monde.

Les chasseurs arrivèrent au milieu du troupeau sans que celui-ci eût fait un pas pour fuir ; cette fois, le docteur eut beaucoup de peine à contenir les instincts d’Altamont ; l’Américain ne pouvait voir tranquillement ce magnifique gibier sans qu’une ivresse de sang lui montât au cerveau. Hatteras regardait d’un air ému ces douces bêtes, qui venaient frotter leurs naseaux sur les vêtements du docteur, l’ami de tous les êtres animés.

« Mais enfin, disait Altamont, est-ce que nous ne sommes pas venus pour chasser ?

— Pour chasser le bœuf musqué, répondait Clawbonny, et pas autre chose ! Nous ne saurions que faire de ce gibier ; nos provisions sont suffisantes ; laissez-nous donc jouir de ce spectacle touchant de l’homme se mêlant aux ébats de ces paisibles animaux et ne leur inspirant aucune crainte.

— Cela prouve qu’ils ne l’ont jamais vu, dit Hatteras.

— Évidemment, répondit le docteur, et de cette observation on peut tirer la remarque suivante : c’est que ces animaux ne sont pas d’origine américaine.