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LETTRE-PRÉFACE

sogne qu’ils allaient accomplir : « il va donc me falloir tuer des hommes, Madeleine, me cria l’un d’eux, des hommes qui ne m’ont rien fait, des hommes à qui je n’en veux point »…

Ce cri-là m’est resté dans les oreilles. Ce cri là condamne la guerre, et absoud le crime de ceux qui ne voulaient pas être des criminels.

Voilà comment on est parti.

Mais alors, pourquoi est-on parti ? C’est ce que j’essaie de dire dans la première partie de ce livre. Ces premiers jours de la mobilisation, je les raconte comme je les ai vécus. Je peins Paris comme je l’ai vu. Mes personnages ont à peine des masques. On peut les reconnaître. Et chacun peut se reconnaître aussi dans cette foule tourmentée, fiévreuse, bouleversée, surexcitée par le départ des hommes, exaltée par des siècles de fanatisme.

Vous, mon cher ami, vous étiez un enfant, comme ce Pierre Bournef, comme ce Jean Tissier, dont j’appelle les images sur les ruines du passé. Vous n’avez pas connu ces heures-là. Vous n’avez pas vu la conscience en déroute s’incliner devant les idoles consacrées par les siècles. Certes, des « anciens » ont pu vous dire leurs impressions, leurs doutes, leurs révoltes, mais pour comprendre ces jours de fièvre et de tourmente, il faut les avoir vécus.

Je les ai traversés. J’étais dans la mêlée qui se bousculait dans les rues de Paris. Mais j’avais, sur ceux qui allaient devenir des combattants, le grand avantage de n’avoir pas à m’affoler pour moi-même, et cela me permettait de dominer cette mêlée, d’essayer de la comprendre et d’y voir clair.

C’est pour cela que vous ne trouverez pas, sous ma plume, un seul mot d’accusation contre ceux qui partaient. Car j’ai compris qu’ils ne pouvaient pas ne pas partir. Tous, tous, et ceux-là même qui étaient éclairés et humains, les bons, les justes, tous partaient convaincus que c’était leur devoir. Ils obéissaient à leur croyance,