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LA NOUVELLE ÉQUIPE

me secoua rudement le bras en me disant : « T’es pas seulement française, toi. »

« Je n’étais pas rassurée, vous le pensez bien. L’une des femmes cria « C’est une Allemande » et l’autre riposta « C’est une Autrichienne ». Au même moment je reçus dans le dos un coup si violent que mon chapeau tomba. Je l’arrêtai au passage et, surexcitée par la douleur physique, je me retournai brusquement vers la femme qui m’avait frappée. Je m’aperçus alors qu’elle était enceinte. Ma colère tomba net, et j’essayai de prendre du recul. Mais le groupe m’enserrait et les hommes avaient des attitudes menaçantes. Toute vibrante, je leur dis :

« Et vous, j’ignore si vous êtes des français, mais je sais que vous êtes des brutes. »

« Je compris sur le champ mon imprudence en lisant dans leurs yeux la folie du meurtre. Ils allaient se ruer sur moi. Une angoisse m’étreignit ; non, mille fois non, pas une fin aussi stupide ! Brusquement, je me jetai entre les deux femmes qui s’écartèrent, me livrant ainsi passage, et je pris mon élan au pas de course. Je descendis ainsi la rue des Poissonniers, poursuivie par les cris des misérables « arrêtez-la, c’est une espionne »…

Louise se tut. Une même émotion avait étreint tous les cœurs en l’écoutant.

— Et voilà à quoi l’on aboutit, avec ce système de fanatisation, dit enfin Maurice. Remarquez, Louise, que ces brutes sont dignes de notre pitié ; la pensée et la volonté n’existent pas chez eux. Ils sont ce que la société les a faits.

— Oh ! Maurice, soyez assuré que je ne leur en veux pas. En descendant le boulevard, tout à l’heure, j’essayais de raisonner. J’évoquais la triste femme enceinte qui m’avait frappée, et c’était bien de la pitié, croyez-le, que j’éprouvais pour ces misérables dont on