Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/186

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pas seulement le décor, mais le fond même de l’œuvre, les buveurs, de guerriers qu’ils étaient, sont devenus des chasseurs.


Le poète va maintenant beaucoup ajouter à son modèle.


La nuit vint ; la runa nouvellement gravée brillait, et son éclat était l’éclat du jour.

Les années s’écoulèrent ; le serpent n’avait plus de place pour l’œuvre du glaive. Les guerriers étaient sombres et tristes, les guerriers que le roi avait vus revenir vainqueurs, car le roi n’écrivait plus de runas.

Alors Inquiétude se leva et dit : « Père des runas, es-tu mort ? »

Le roi répondit par un douloureux sourire. Tous attendaient la nuit, croyant que le soleil se couchait. Mais le soleil s’élevait plus haut et refusait de se coucher. Il s’approcha du château. Le roi voulut écrire, il ne put pas. Soudain les portes s’ouvrirent ; les guerriers tremblèrent. Inquiétude se mit à chanter :

« Le roi est pâle, plus pâle que la runa. Ah ! qui me dira ce qui agite le père des runas ? La harpe est muette et ses cordes palpitent. Inquiétude va mourir. »


À cette scène presque muette, dont seul le guerrier Inquiétude interrompt le silence, Leconte de Lisle substitue un dialogue très animé. Et d’abord, pendant que le vieux roi du Nord reste songeur sur son trône, les Runoïas évoquent, en face de leurs descendants occupés à boire, le souvenir des héros d’autrefois :

— Où sont-ils, ces rois de la haute mer,


Qui heurtaient le Mot lourd du choc des nefs solides,