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Je porte sur mon côté la tête d’Urien qui doucement commandait l’armée : sur sa poitrine blanche, un corbeau noir !

Je porte dans ma tunique la tête d’Urien qui doucement commandait la cour ; sur sa poitrine blanche le corbeau se gorge.

Je porte à la main une tête qui n’était jamais en repos : la pourriture ronge la poitrine du chef.

Je porte du côté de ma cuisse une tête qui était un bouclier pour son pays, une colonne dans le combat, une épée de bataille pour ses libres compatriotes.

Je porte à ma gauche une tête meilleure, de son vivant, que n’était son hydromel ; [une tête] qui était une citadelle pour les vieillards.

Je porte, depuis le promontoire de Pennok, un chef dont les armées sont célèbres au loin ; le chef d’Urien l’éloquent [dont] la renommée court [à travers le monde].

Je porte sur mon épaule une tête qui ne me faisait point honte : malheur à ma main ! mon maître est tué !

La tête que je porte sur mon bras n’a-t-elle pas conquis la terre des Berniciens ? Après le cri de guerre, les chevaux [traînent] des corbillards.

Je porte dans le creux de ma main, une tête qui commandait doucement son pays, la tête d’un puissant pilier de la Bretagne.

La tête que je porte au bout d’une pique noire est la tête d’Urien, le sublime Dragon[1]. Ah ! jusqu’à ce que le jour du jugement arrive, je ne me tairai point !

La tête que je porte me porta ; je ne le retrouverai plus ; il ne viendra plus à mon secours. Malheur à ma main ! mon bonheur m’est ravi !

La tête que j’emporte du penchant de la montagne a la bouche écumante de sang ; malheur à Reghed de ce jour !


  1. Au lieu d’en faire un Dragon, Leconte de Lisle en lait un Loup : l’image lui semble plus barbare.