Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/323

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Ta hayne ny ton amitié ?

Nochers qui, par un long usage,
Voyez les vagues sans effroy,
Et qui cognoissez mieux que moy
Leur bon et leur mauvais visage,
Dictes-moy, ce ciel foudroyant,
Ce flot de tempeste aboyant,
Les flancs de ces montagnes grosses,
Sont-ils mortels à nos vaisseaux ?
Et sans aplanir tant de bosses
Pourray-je bien courir les eaux ?

Allons, pilote, où la fortune
Pousse mon genereux dessein ;
Je porte un Dieu dedans le sein
Mille fois plus grand que Neptune :
Amour me force de partir.
Et deust Thetis pour m’engloutir,
Ouvrir mieux ses moittes entrailles,
Cloris m’a sceu trop enflammer
Pour craindre que mes funerailles
Se puissent faire dans la mer.

O mon ange ! o ma destinée !
Qu’ay-je fait à cet element
Qu’il tienne si cruellement
Contre moy sa rage obstinée ?
Ma Cloris, ouvre ici tes yeux,
Tire un de tes regards aux cieux :
Ils dissiperont leurs nuages,
Et, pour l’amour de ta beauté,
Neptune n’aura plus de rage
Que pour punir sa cruauté.

Desja ces montagnes s’abaissent,
Tous leurs sentiers sont aplanis,
Et sur ces flots si bien unis
Je voy des alcions qui naissent.