Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/355

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Mon ame triompha de se sentir blessée,
Et l’autel m’eust despieu d’oster à ma pensée
L’entretien d’un si doux tourment.
Ne deust le ciel faire périr,
Je mesure ma peine avecques mes années,
Et l’amour se fait fort d’oster aux destinées
La puissance de me guérir.
Au poinct que ceste ardeur m’a mis,
Mon superbe bon-heur se mocque de l’envie,
Et, quelque mal qui vienne à menacer ma vie.
Je me ris de mes ennemis.
Tout ce monde de poursuivans
Me fait persévérer avecques plus de joye :
Ce renommé Jason n’eust jamais eu sa proye
S’il eust craint la mer ny les vens.
Soubs l’auspice de vostre loy
Il n’est point de grandeur que mon esprit ne brave.
Et le mesme accident qui me faict estre esclave,
Il me semble qu’il m’a faict roy.


ELEGIE, A UNE DAME.

Si vostre doux accueil n’eust consolé ma peine,
Mon ame languissoit, je n’avois plus de veine,
Ma fureur estoit morte, et mes esprits, couverts
D’une tristesse sombre, avoient quitté les vers.
Ce mestier est pénible, et nostre sainct estude
Ne cognoist que mespris, ne sent qu’ingratitude ;
Qui de nostre exercice ayme le doux soucy.
Il hayt sa renommée et sa fortune aussi.
Le sçavoir est honteux, depuis que l’ignorance