Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/358

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Joignent l’or et la soye à de vilains lambeaux,
Pour paroistre aujourd’huy d’aussi mauvaise grâce
Que parut autresfois la corneille d’Horace.
Ils travaillent un mois à chercher comme à fils
Pourra s’apparier la rime de Memphis ;
Ce Liban, ce turban et ces rivières mornes
Ont souvent de la peine à retrouver leurs bornes ;
Cet effort tient leurs sens dans la confusion,
Et n’ont jamais un rais de bonne vision.
J’en cognois qui ne font des vers qu’à la moderne,
Qui cherchent à midy Phœbus à la lanterne,
Grattent tant le françois qu’ils le déchirent tout,
Blasmant tout ce qui n’est facile qu’à leur goust ;
Sont un mois à cognoistre, en lastant la parole,
Lors que l’accent est rude ou que la rime est mole,
Veulent persuader que ce qu’ils font est beau
Et que leur renommée est franche du tombeau.
Sans autre fondement sinon que tout leur aage
S’est laissé consommer en un petit ouvrage.
Que leurs vers dureront au monde précieux,
Pource qu’en les faisant ils sont devenus vieux.
Ue mesmes l’areignée, en filant son ordure,
Use toute sa vie et ne faict rien qui dure.
Mais cet autre poëte est bien plein de ferveur :
Il est blesme, transi, solitaire, rêveur,
La barbe mal peignée, un œil branslant et cave,
Un front tout renfrongné, tout le visage hâve,
Ahane dans son lict et marmotte tout seul.
Comme un esprit qu’on oit parler dans un linceul ;
Grimasse par la rue, et, stupide, retarde
Ses yeux sur un object sans voir ce qu’il regarde.
Mais desjà ce discours m’a porté trop avant :
Je suis bien près du port, ma voile a trop de vent ;
D’une insensible ardeur peu à peu je m’esleve.
Commençant un discours que jamais je n’acheve.