Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/369

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Ton humeur agreable et tes mœurs sociables.
Tes charges, tes maisons, tes qualitez, ton bien,
Au prix de ta vertu je ne les prise rien.
J’estime ton merite : il vaut mieux que le Gange ;
Tes richesses au prix sont de terre et de fange.
Cela n’a point d’esclat auprès de ta valeur.
Et mon poëme aussi n’emprunte rien du leur;
La race, la grandeur, l’argent, la renommée,
Aux jugemens bien clairs n’est qu’ombre et que fumée :
C’est un lustre pipeur qui s’escoule et qui fuit
Avec l’entendement du brutal qui le suit.
Je sçay que la nature a voulu que tu prinsses
Et le sang et le nom d’une race de princes ;
Mais, quand bien les grands roys dont le nom est fameux
T’auroient laissé bien riche et florissant comme eux,
Si d’un esprit commun le Ciel t’avoit fait naistre,
Je serois bien marry de t’avoir eu pour maistre.
Qu’un homme sans esprit est rude et desplaisant,
Et que le joug des sots est fascheux et pesant !
Un sage à leur desir sans contraincte ne plie,
Et jamais sans regret d’un tel nœud ne se lie.
Un sot, il est cruel, ingrat, impérieux ;
Tantost on le void morne et tantost furieux ;
Oblige sans subject, mal à propos offence.
Et qui ne faict jamais du bien quand il y pense.
Son esprit ignorant ne peut rien estimer.
Il n’a nulle raison, il ne sçait rien aymer ;
Or il veut qu’on le tance et tantost qu’on le loue ;
Tantost il faict du bruit et tantost il se joue.
Il ne sçait qui le fasche ou qui luy faict plaisir,
Et luy-mesme en son cœur n’entend point son desir;
Mais d’un orgueil farouche et d’une ame insolente
Il force tout devoir, toutes loix violente,
Et ne peut accorder, tout ignorant qu’il est,
Qu’une chose soit bien que quand elle luy plaist.