Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/377

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Qui travaillent la tienne et dehors et dedans.
La beste ne sent point peste, guerre ou famine,
Le remors d’un forfaict en son cœur ne la mine ;
Elle ignore le mal pour n’en avoir la peur,
Ne cognoist point l’effroy de l’Acheron trompeur.
Elle a la teste basse et les yeux contre terre,
Plus près de son repos et plus loing du tonnerre.
L’ombre des trépassez n’aigrit son souvenir,
On ne voit à sa mort le desespoir venir ;
Elle compte sans bruit et loing de toute envie
Le terme dont nature a limité sa vie,
Donne la nuict paisible aux charmes du sommeil
Et tous les jours s’esgaye aux clartez du soleil,
Franche de passions et de tant de traverses
Qu’on voit au changement de nos humeurs diverses.
Ce que veut mou caprice à ta raison desplaist,
Ce que tu trouves beau, mon œil le trouve laid.
Un mesme train de vie au plus constant n’agrée :
La prophane nous fasche autant que la sacrée.
Ceux qui, dans les bourbiers des vices empeschez,
Ne suivent que le mal, n’ayment que les péchez,
Sont tristes bien souvent, et ne leur est possible
De consommer une heure en volupté paisible.
Le plus libre du monde est esclave à son tour,
Souvent le plus barbare est subject à l’amour.
Et le plus patient que le soleil esclaire
Se trouve quelquefois emporté de cholere.
Comme Saturne laisse et prend une saison,
Nostre esprit abandonne et reçoit la raison ;
Je ne sçay quelle humeur nos volontez maistrise.
Et de nos passions est la certaine crise ;
Ce qui sert aujourd’huy nous doit nuire demain,
On ne tient le bon-heur jamais que d’une main.
Le destin inconstant sans y penser oblige,
Et, nous faisant du bien, souvent il nous afflige.