Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/391

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Dieux ! que l’Amour estoit bien en colère
De m’obliger au soucy de lui plaire !
Que mes destins sont bien mes ennemis !
Qu’ils m’ont trahy de me l’avoir permis !
Vous qui m’ostez ceste mauvaise envie,
Qui banissez la honte de ma vie,
Chère Amaranthe, à qui je dois le bien
D’avoir rompu cet infâme lien,
Gardez qu’Amour ne me soit plus contraire,
Que mon destin ne soit mon adversaire ;
Dites aux Dieux, vous qui les gouvernez,
Et leur esprit en vos yeux retenez,
Que, si mon ame est encore capable
D’un autre Amour si lasche et si coupable,
Ils n’auront point de tonnerre si fort
Qui ne me donne une trop douce mort.
Mais où l’Amour trouveroit-il des armes ?
Quelle beauté luy fournira des charmes
Pour dégager encores mes esprits
Des beaux liens où je demeure pris ?
Autre que vous n’a rien que je désire ;
Vous estes seule au monde que j’admire ;
Je vous adore, et jure vos beaux yeux
Qu’un paradis ne me plairoit pas mieux.
Que si mes yeux rendoient jamais possible
Qu’à vos regards mon ame fust visible,
Vous y verriez les plus beaux mouvemens
Qu’amour jamais fist naistre à des amans ;
Vous y verriez la douce frenaisie
Dont vous avez ma volonté saisie ;
Mille pensers à vos yeux incognus
D’un grand respect jusqu’icy retenus
Vous y verriez un cœur sans artifice,
Se présentant lui-mesme en sacrifice.
Et qui se croit mourir assez heureux