Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/124

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redoublèrent. Les Vendéens armés de bâtons s’élancèrent comme des furieux ; on les vit sortir en foule de derrière les haies, où ils étaient cachés ; Ils sautèrent sur les canons, et les Bleus, surpris, épouvantés d’une si brusque attaque, s’enfuirent en désordre, abandonnant deux petites pièces de canon, les seules qu’ils avaient, et deux caissons. Ils eurent soixante-dix tués et un nombre plus grand de blessés ; les nôtres les poursuivirent jusqu’à une demi-lieue de Bressuire[1].

Tel est le rapport exact de cette journée mémorable, et depuis, l’on retrouve cette manière de se battre des paysans à presque toutes les rencontres, surtout dans les commencements. Leur tactique consistait à entourer en silence les Bleus, à paraître inopinément à portée de pistolet, en jetant de grands cris, à se précipiter sur les canons pour les empêcher de leur faire du mal, disaient-ils, à tirer rarement, mais en visant juste. Les paysans disaient : « Un tel, tu es le plus fort, saute à cheval sur le canon », et cet homme sautait dessus en criant : Vive le Roi ! pendant que ses camarades tuaient les canonniers. On voit aussi la conduite que tenaient les chefs : l’essentiel était d’inspirer confiance aux soldats qui, au commencement de l’attaque, avaient toujours un moment d’hésitation, mais se rassuraient et devenaient invincibles quand ils voyaient leurs généraux, à leur tête, se jeter dans un péril évident.

Cette manière de faire la guerre paraîtra sans doute inconcevable, mais elle est l’exacte vérité ; on le croira davantage en réfléchissant que pas un soldat ne savait l’exercice, ni même distinguer sa droite de sa gauche. [On ne comptait peut-être pas dans tout le Bocage vingt paysans qui eussent servi ; nulle part en France il n’y avait dans le peuple autant de répugnance pour l’état militaire et pour ce qui éloignait du pays.]

  1. Quand les troupes républicaines furent rentrées à Bressuire, la frayeur était si grande, que le général Quétineau ne put jamais établir une sentinelle hors des portes de la ville. (Note du manuscrit.)