Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Pendant que j’étais à Turin, il m’arriva d’assister, sans que j’en eusse une grande envie, à une représentation publique de ma Virginie, donnée sur le même théâtre où neuf ans auparavant on avait joué la Cléopâtre, et par des acteurs à peu près aussi habiles. Un de mes anciens amis de l’Académie avait préparé cette représentation avant que je n’arrivasse à Turin, et sans savoir que je dusse y arriver. Il me demanda de vouloir bien m’employer à former un peu les acteurs, comme je l’avais déjà fait pour la Cléopâtre. Mais moi dont le talent s’était peut-être un peu développé, moins pourtant que l’orgueil, je ne voulus m’y prêter en rien ; je savais trop bien ce qu’il en était de nos acteurs et de notre parterre. Je ne voulus donc à aucun prix devenir le complice de leur incapacité, qui m’était parfaitement démontrée, avant que j’eusse besoin de les entendre. Je savais qu’il aurait fallu commencer par l’impossible, c’est-à-dire leur enseigner à parler et à prononcer l’italien au lieu du vénitien, à réciter leurs rôles eux-mêmes, et non par la bouche du souffleur, à comprendre enfin, (car, ce serait exiger trop si je disais à sentir), non, à comprendre simplement ce qu’ils voudraient faire passer dans l’âme de leurs auditeurs. Mon refus, on le voit, n’était pas si déraisonnable, ni mon orgueil si déplacé. Je laissai donc mon ami y penser pour moi et me bornai à lui promettre bien malgré moi d’assister à la représentation. Et en effet j’y allai, intimement convaincu d’avance que, de mon vivant, il n’y avait pour moi à recueillir sur