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SIX ANS AUX MONTAGNES ROCHEUSES

étonné et me répondit avec un flegme imperturbable : «  Moi  ? mais c’est l’Est du train qui est tombé, et j’étais à l’Ouest.  » Un autre conducteur, son collègue, ne fut pas aussi heureux : c’était un Écossais du nom de Macdonald, très estimé de tous ceux qui le connaissaient. Son train était bloqué dans la neige  ; il était parti sur la locomotive à la recherche de provisions et de charbon. La locomotive dérailla sur un pont à fleur d’eau et Macdonald fut précipité dans la rivière, si malheureusement que sa jambe resta prise sous la roue du tender. La situation était affreuse  ; le corps du malheureux baignait dans l’eau glacée et sa jambe broyée le faisait horriblement souffrir. On téléphona à Missoula pour avoir du secours  ; mais la voie était obstruée et les secours n’arrivaient pas. On téléphona de nouveau à un médecin pour lui demander ce qu’il fallait faire : «  Coupez la jambe avec une hache,   » répondit-il. Mais personne n’osa prendre cette responsabilité  ; les hommes se relayaient auprès du moribond pour lui maintenir la tête hors de l’eau  ; après sept heures d’une horrible agonie, il expira. Les secours arrivèrent enfin, et la grue à vapeur soulevant le tender dégagea le cadavre qu’on ramena pour l’enterrer à Missoula.

On me demandera si j’obtenais par ces courses dans les montagnes des résultats satisfaisants : il semble à première vue que mon travail et mes peines étaient en partie perdus, car je ne pouvais déserter mon église le dimanche, et en semaine dans ces postes éloignés tous les hommes étaient au travail. Cependant la seule présence du prêtre, si intermittente quelle fût, produisait toujours un bien réel dans ces quartiers éloignés de tout centre moral et religieux. J’eus d’ailleurs assez souvent l’occasion d’exercer mon ministère d’une manière conso-