Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
LIVRE II. — CHAPITRE II.

blance, il y avait entre Arcésilas et Socrate de profondes différences. Sceptique et irrésolu seulement en apparence, Socrate, à travers tous les détours de ses questions, ne perdait jamais de vue le but moral qu’il poursuivait ; il avait des points de repère, des idées arrêtées, qui donnaient à ses discours un sérieux et une élévation que n’ont pas connue ses disciples dégénérés. En outre, Socrate se proposait moins de briller que d’instruire, et il est permis de penser que sur tant de sujets nouveaux ou anciens, imprévus ou attendus, Arcésilas cherchait surtout l’occasion d’étaler les grâces de son esprit, et de faire valoir les ressources de sa dialectique.

En résumé, ni dans les idées d’Arcésilas, ni dans la méthode qu’il mit à leur service, nous ne trouvons une grande originalité. Ses rivaux, Épicure[1] surtout, le lui ont reproché plus d’une fois ; ils l’accusaient de ne rien dire de nouveau, et de jeter de la poudre aux yeux des ignorants. Arcésilas en convenait de bonne grâce ; il se flattait seulement de suivre l’exemple de Socrate, de Platon et de Parménide, et il s’abritait derrière l’autorité de ces grands noms.


IV. Il n’est pas facile, même après qu’on a réuni tout ce que nous pouvons savoir d’Arcésilas, de se faire une idée nette de ce personnage, et de porter un jugement d’ensemble sur son enseignement. Est-ce un penseur sérieux, ou seulement un discoureur habile à ce jeu de la dialectique qu’il appelait lui-même un art d’escamotage[2] ? Est-il sincère en son scepticisme, ou sceptique même à l’égard de son scepticisme ? Est-ce un philosophe ou un sophiste ?

Les anciens se trouvaient déjà dans le même embarras où nous sommes, et de bonne heure les avis ont été partagés à l’égard du fondateur de la nouvelle Académie. On en fait parfois un dogmatiste honteux : on le supposait au fond plus platonicien qu’il ne voulait le paraître ; dans son for intérieur, il

  1. Plut., Adv. Colot., 96 ; Cf. Cic., Ac., II, v. 14.
  2. Stob., Floril., LXXXII, 4.