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LIVRE II. — CHAPITRE III.

va pas sans la vertu : la divinité aura donc toutes les vertus. Lui attribuerons-nous la prudence ? C’est l’art de choisir entre le bien et le mal ; mais à quoi lui servira-t-elle, puisqu’elle ne peut éprouver ni bien ni mal ? Et la tempérance ? Elle n’est une vertu que s’il y a des plaisirs auxquels il est difficile de renoncer : on n’est pas tempérant pour dédaigner une vieille femme moribonde, mais pour renoncer à Laïs ou à Phryné si on les a à sa disposition. Et le courage ? Montrer du courage ; ce n’est pas boire du vin doux, mais se laisser brûler ou déchirer sans se plaindre. Si les Dieux sont exposés à de telles douleurs, sont-ils encore des Dieux ? La sagesse suppose des obscurités qu’on peut dissiper : rien n’est obscur pour les Dieux. Il est également impossible que les Dieux aient toutes les vertus et qu’ils ne les aient pas. Et s’ils ne les ont pas, ils ont, d’après un paradoxe fameux des stoïciens, les vices contraires, car il n’y a pas de milieu entre le vice et la vertu.

Voilà d’inextricables difficultés ; on en rencontre bien d’autres, si on considère, non plus la divinité en général, mais les dieux populaires dont Zénon et Chrysippe s’attachent à démontrer l’existence. Si Jupiter est dieu, ses frères Neptune et Pluton sont aussi des dieux[1]. Si Neptune est dieu, il faut en dire autant d’Achéloüs, du Nil, de tous les fleuves, de tous les ruisseaux. Si le soleil est dieu, le jour aussi est dieu, puis l’année, puis le mois, puis le matin et le soir. On dira aussi que la foi, la concorde, l’honneur, l’espérance sont dieux ou déesses ; de fait, on leur a élevé des temples. Mais quel homme sensé prendra tout cela au sérieux ? Pourtant, point de milieu : il faut aller jusque-là ou nier l’existence de ceux qu’on appelle les grands Dieux.

Carnéade n’avait pas la partie moins belle avec les théories stoïciennes de la divination[2]. Où s’exerce, disait-il, la divina-

    comme chez Sextus, elle semble faire corps avec la précédente et n'en être que la suite.

  1. Cic. De Nat. Deor., III, xx, 52. Cf. Sext., M., IX, 189.
  2. Cic. De Divin., I, iv, 7 ; II, iii, 9. Il ne paraît pas douteux que, dans tout le deuxième livre du De divinatione, Cicéron ait suivi pas à pas un philosophe de la nouvelle Académie, très probablement Clitomaque ; aussi attribuons-nous à