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LIVRE II. — CHAPITRE III.

sans qu’il cesse d’être contingent. Nous n’avons pas à entrer ici dans le détail de cette théorie[1] ; il est aisé de voir que Chrysippe avait fort à faire pour justifier sa doctrine ; Cicéron nous dit qu’il sua sang et eau[2], et nous n’avons pas de peine à le croire. Carnéade n’était pas homme à ne pas profiter de ses avantages ; il ne paraît pas[3] cependant qu’il ait sur ce point attaqué son adversaire trop durement[4].

Les épicuriens, tout aussi intéressés que les stoïciens, et pour les mêmes raisons, à défendre la liberté, avaient pris un parti plus radical : ils repoussaient en bloc les quatre propositions. De là leur théorie du clinamen. Il y a, disent-ils, des mouvements sans cause[5]. Il y a des propositions qui ne sont ni vraies ni fausses[6]. Mais de tels paradoxes étaient un scandale pour les physiciens autant que pour les dialecticiens. Cicéron, bien qu’à tout prendre il soit plutôt disposé à se résigner à suivre cet exemple qu’à accepter le fatalisme stoïcien[7], ne peut s’empêcher de s’indigner ou de railler[8].

Carnéade vint au secours des épicuriens avec qui il avait fait campagne contre les stoïciens sur la question de la divination ; peut-être est-ce le prétexte dont il se servit pour résoudre à son tour, sans paraître tomber dans le dogmatisme, un problème difficile, bien digne à coup sûr de sa virtuosité dialectique.

Il commençait par établir, à l’aide d’un sorite, contre les stoïciens, qu’il est impossible d’admettre le Fatum sans nier la liberté :

  1. Nous l’avons exposée dans notre opuscule : De assensione stoici quid senserint. Paris, G. Baillière, 1879.
  2. De Fato, ap. Gell., N. A. VI, 2 : « Chrysippus æstuans laboransque. »
  3. De Fato, xiv, 31 : « Nullam adhibebat calumniam. »
  4. Peut-être Cicéron s’inspire-t-il de Carnéade dans sa critique des arguments de Chrysippe sur les Chaldéens et contre la théorie des possibles de Diodore, iv, 7 ; x, 20. Toutefois, Carnéade n’est pas nommé dans cette discussion, et il semble plus probable que Cicéron en a emprunté les éléments à d’autres philosophes.
  5. De Fato, x, 22.
  6. x, 21 ; xvi, 37.
  7. x, 21.
  8. xvi, 38.