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INTRODUCTION. — CHAPITRE I.

la connaissance, était que les sens ne nous font pas connaître la vérité. Ces principes immuables, qu’on les appelle éléments, atomes ou homéoméries, ne sauraient tomber sous les sens : la raison seule les découvre ; les sens sont donc trompeurs. Aussi tous les nouveaux ioniens sont-ils d’accord sur ce point avec Parménide et Héraclite : « Refuse, dit Empédocle[1], toute créance aux sens : que la pensée seule te fasse connaître la réalité. » — « Chacun[2] se flatte de connaître l’univers : mais ni les yeux, ni les oreilles, ni l’intelligence d’un homme ne peuvent le comprendre. Tu n’en sauras jamais que ce qu’en peut saisir l’intelligence d’un mortel. » Comme Parménide, Démocrite[3] oppose la vérité à l’opinion, et déclare que ce qui apparaît aux sens n’existe pas réellement. Ce qui existe, ce sont uniquement les atomes ; le chaud et le froid, le doux et l’amer, la couleur n’ont pas de réalité. « La vérité, dit-il[4] encore, est profondément cachée », et il insiste tellement sur ce point, que souvent on l’a pris pour un sceptique.

Anaxagore[5] à son tour déclare que nos sens sont trop faibles pour connaître la vérité. « Si vous prenez deux couleurs, dit-il encore[6], et que vous les mélangiez, l’œil ne peut distinguer les changements qui se font peu à peu : pourtant ils existent dans la réalité. C’est la raison seule qui juge de la vérité[7]. » À ces vues se rattache le sophisme que les sceptiques devaient si souvent répéter : « La neige est noire, car elle est formée avec de l’eau, et l’eau est noire[8]. »

Sans aucun doute, c’est à cause de ces assertions que plus tard les académiciens se crurent autorisés à invoquer le nom de

  1. Mullach, p. 2, v. 57.
  2. Ibid., v. 41-44. Cf. Cic., Ac., II, V, 14 : « Empedocles interdum mihi furere videtur : abstrusa esse omnia, nihil nos sentire, nihil cernere, nihil omnino, qualo sit, posse reperire. »
  3. Sext., M., VII. 135. Cf. Mullach, I, p. 357.
  4. Diog., IX, 72 ; Cic., Ac., II, x, 32. Cf. Arist., Métaph., III, 5, 1009.
  5. Sext., M., VII, 90.
  6. Sext., ibid., 90
  7. Ibid., 91.
  8. Sext., P., I, 33 ; Cic., Ac., II, XXIII, 72-XXXI, 100.