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LIVRE II. — CHAPITRE IV.

ne paraît pas l’avoir briguée ; de fait, c’est lui qui a rendu au grand service aux Athéniens. Cicéron dit en propres termes qu’il ne se mêla jamais de politique. On ne cite pas un trait de sa vie qui ne soit à son honneur. Il ne circule pas sur son compte, comme sur celui d’Arcésilas, des bruits fâcheux ou scandaleux. Un homme tel que lui devait avoir des ennemis : il en a eu ; ils ne lui reprochent que des discours, non des actes. Quand Numénius[1] l’appelle « filou, joueur de tours », il parle au figuré, et s’il le compare à ces légumes vides qui flottent à la surface de l’eau où on les fait bouillir, tandis que les bons vont au fond, cela veut dire seulement qu’il n’est pas de son avis. Il n’a pas été de ces esprits légers et brouillons qui se plaisent à jeter le trouble chez les autres : c’est Arcésilas, et non pas Carnéade, que le stoïcien des Académiques compare à ces tribuns du peuple qui ne rêvaient qu’agitation et désordre. S’il a aimé la gloire et le succès dans les luttes oratoires, c’était apparemment son droit. Il n’y a même pas lieu de dire de lui qu’il ait, comme Cicéron, choisi le probabilisme parce que, n’ayant rien à défendre et toujours prêt à l’attaque, il donnait plus de facilité à l’éloquence. Stoïcien, épicurien ou pur platonicien, Carnéade, doué comme il l’était, aurait toujours été le premier orateur et le premier philosophe de son temps. Il y a mieux encore : Quintilien[2] nous dit en propres termes que Carnéade n’a point été un homme injuste. Lactance[3] nous assure qu’il n’en voulait pas à la justice. Saint Augustin[4] parle aussi de lui en termes favorables. Cicéron[5] déclare qu’il ne voulait pas détruire les dieux : c’est uniquement au dogmatisme stoïcien qu’il avait affaire, non à la morale ou à la religion. Les stoïciens, qui font les fiers et veulent

  1. Ap. Euseb., Præp. evang., XIV, viii, 14.
  2. Instit. orat., XII, i, 35. « Nec Carneades ille… injustus vir fuit. »
  3. Div. Inst., V, 17 ; Epitome, LV, « non quia vituperandam esse justitiam sentiebat… ».
  4. Contra academic., III, xvii, 39.
  5. De nat. Deor., III, xvii, 44 : « Hæc Carnades aiebat non ut deos tolleret (quid enim philosopho minus conveniens), sed ut stoïcos nihil de diis explicare convinceret. »