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LIVRE II. — CHAPITRE IV.

dit pas, comme on le lui fait dire : rien n’est certain. Il dit : rien n’est certain, hormis le phénomène. La manière dont nous sommes affectés, la donnée, le πάθος, voilà ce qui, de l’aveu de tout le monde, est évident, certain d’une certitude indiscutable et indiscutée. Voilà le type, l’étalon qui peut servir à juger de la vraisemblance. Comparée à ce modèle, peut-on dire que la certitude des propositions générales, de celles qui portent sur une existence réelle hors de nous (en laissant de côté, par conséquent, les vérités mathématiques, qui supposent toujours certaines conditions admises au préalable et sont, à ce titre, toujours hypothétiques, comme disait Platon), soit de même nature ? Elle ne l’est certainement pas, puisqu’on en dispute.

Au fond de tout ce débat, il y a un malentendu et une équivoque : on conçoit, sans s’en rendre compte, la certitude de deux manières différentes. S’agit-il de la définir théoriquement ? La définition est fort belle : c’est l’adhésion ferme, inébranlable, irrésistible, de l’âme à la vérité, et rien qu’à la vérité ; c’est la prise de possession directe de la réalité par l’esprit ; c’est l’union intime, la fusion, sur un point, du sujet et de l’objet. Aucun doute, aucune contestation n’est possible ; bref, la certitude est définie comme quand il s’agit du phénomène actuellement donné. S’agit-il, au contraire, non plus de la théorie, mais de l’application et de la pratique, considère-t-on la certitude, non plus telle qu’elle devrait être, mais telle qu’elle est, c’est tout autre chose : ce n’est plus que l’adhésion pleine et entière, très forte et très passionnée peut-être, absolument sincère, nul ne le conteste, mais pourtant qui peut être donnée, qui est souvent donnée à des choses incertaines, voire à des choses fausses. On confond ces deux concepts fort différents ; on parle de la certitude pratique, celle dont nous vivons, comme si elle était toujours la certitude théorique, et elle ne l’est pas. Que répondre à Carnéade quand il vient nous dire : Cette certitude que vous déclarez inébranlable, il lui arrive d’être ébranlée ; à cette certitude que vous dites irrésistible, vous résisterez tout à l’heure, quand vous aurez reconnu votre erreur. — Mais alors ce n’est pas