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LIVRE II. — CHAPITRE IV.

dans la vie privée les idées, les mœurs et le ton d’un honnête homme. Sa vie est exempte de reproche. Sa morale, dont Cicéron nous adonné la formule précise, voluptas cum honestate, était celle de l’ancienne Académie, de Platon, d’Aristote, des stoïciens même, si on tient compte des tempéraments qu’ils savaient apporter à leurs hautaines formules. Seulement cette morale, il la séparait des principes abstraits, il se contentait de la pratiquer sans en faire la théorie. On peut penser que cette manière de comprendre la vie n’est ni assez noble, ni assez justifiée : nous sommes loin de le défendre sur ce point. Mais ce n’est pas à cause de sa morale que nous revendiquons pour lui le titre de grand philosophe. Ce titre, il l’a mérité par la force et l’originalité de ses idées.


II. « Carnéade, dit M. Martha, n’est pas, comme on le dit, un sophiste, mais un véritable philosophe, qui dans sa constante dispute contre les stoïciens a presque toujours la raison de son côté. » Nous oserons aller un peu plus loin que le savant critique, et dire que d’après ce que nous connaissons de l’œuvre de Carnéade, ce n’est pas presque toujours, c’est toujours qu’il a la raison de son côté. Seulement, pour que cette assertion soit exacte, il faut que l’on consente, comme on le doit en bonne justice, à tenir compte de l’époque où Carnéade a vécu, et de la manière dont les problèmes philosophiques se posaient de son temps.

Ce serait faire à Carnéade la partie trop belle que d’insister sur sa polémique contre les théories religieuses des stoïciens, si ingénieusement accommodées au paganisme. Qui oserait aujourd’hui défendre contre lui la théologie de Chrysippe, et le blâmer d’avoir réfuté par l’absurde ce panthéisme naturaliste qui divinisait sans exception toutes les forces de la nature ?

Si on laisse de côté les points particuliers où le stoïcisme rejoint la religion populaire pour ne considérer que les preuves générales qu’il donne de l’existence des Dieux, peut-être y a-t-il encore aujourd’hui des philosophes qui invoquent le consente-