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LES SUCCESSEURS DE CARNÉADE. — PHILON.

saut de côté les principes rationnels, et les témérités de la métaphysique. Mais nous ne savons rien de précis à cet égard.

Telle quelle est, la sèche analyse de Stobée nous montre que le livre de Philon était un de ces excellents traités de sagesse pratique, comme l’antiquité grecque dut en connaître beaucoup, et dont nous pouvons nous faire une idée d’après le De Officiis de Cicéron. Il serait intéressant, si les données ne nous faisaient défaut, de comparer cette morale à celle des stoïciens. Elle en évitait certainement les excès, elle n’en avait pas la raideur et elle donnait les mêmes conseils pratiques. Sur un point au moins elle a une incontestable supériorité ; les stoïciens n’avaient pas pour la moyenne des hommes, pour les humbles et les simples, ces égards et cette bienveillance que leur témoigna Philon en leur consacrant tout un livre. Ils se contentaient de les appeler des insensés, et les dédaignaient. C’est la première fois peut-être qu’avec Philon, la philosophie s’avisa qu’il existe dans le monde autre chose que des philosophes et des sages. Il n’est que juste d’en savoir gré à la nouvelle Académie.


En résumé, Philon fut un esprit raisonnable et modéré. En logique, il combattit le dogmatisme, non pour le plaisir de détruire, mais pour réagir contre les prétentions orgueilleuses des stoïciens. Loin de se laisser entraîner par l’ardeur de la dispute, il s’attacha avec autant de bonne foi que de sagacité à remplacer la certitude absolue, qui, suivant lui, nous est inaccessible, par son équivalent pratique, la probabilité. Une philosophie qui nous laisse au moins l’espoir et la chance d’atteindre la vérité, n’est pas une mauvaise philosophie. Elle ne décourage pas la recherche, et nous interdit une trop grande satisfaction de nous-mêmes. Elle est à la fois modeste et laborieuse. En morale, Philon prit aussi parti pour les opinions moyennes. Il se défia des grands mots, et il ne connut pas cette vertu farouche, les cheveux hérissés, le front ridé et en sueur, seule sur la pointe d’un rocher, dont notre Pascal a si éloquemment parlé. La sienne n’est pas non plus enjouée et folâtre ; elle n’est pas cou-