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ANTIOCHUS D’ASCALON.

la matière, qui ne peuvent exister l’un sans l’autre. La réunion de ces deux principes forme un corps, ou qualité (ωοιότ). De ces qualités, les unes, au nombre de cinq, sont simples et irréductibles : ce sont les éléments ; les autres sont composées, ce sont toutes les propriétés des corps. Sous la diversité de tous les corps subsiste l’unité de la matière primitive, divisible à l’infini, éternelle, indestructible, d’où tout est sorti, où tout doit rentrer. La réunion de tous ces corps forme l’univers, gouverné par une intelligence suprême, parfaite et éternelle : elle maintient l’ordre et l’harmonie : c’est la Providence. On l’appelle aussi Dieu, et parfois la Nécessité, parce que l’enchaînement qu’elle établit entre toutes les parties de l’univers est immuable et fatal.

Antiochus expose cette doctrine comme étant commune à Platon et à Aristote : c’est manifestement une erreur. Cette physique panthéiste est exclusivement stoïcienne : le désaccord entre l’ancienne Académie et le stoïcisme est ici encore incontestable.

En logique, Antiochus expose assez exactement la théorie platonicienne de la connaissance. Toute connaissance a pour point de départ les sens, mais c’est à la raison qu’il appartient de discerner la vérité. Les sens sont faibles, imparfaits ; ils ne perçoivent pas les choses qu’ils paraissent connaître. On ne voit pas bien comment Antiochus conciliait cette théorie avec celle de la représentation compréhensive qu’il admettait avec les stoïciens : Cicéron dit d’ailleurs qu’il ne s’est jamais écarté des traces de Chrysippe[1]. Tout au moins, il abandonnait la théorie des idées de Platon, et Cicéron a raison quand il constate ce désaccord[2]. Il est possible, comme le remarque Zeller[3] qu’il ait concilié Aristote et les stoïciens en déclarant que la vérité réside dans les concepts formés par la raison a l’aide des données sensibles. Il reste néanmoins certain qu’Aristote attribuait à la raison un rôle tout différent de celui que lui laissent les stoï-

  1. Ac., II, XLVI, 143.
  2. Ibid.
  3. Op. cit., IV, 603. 3e Aufl.