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LIVRE III. — CHAPITRE II.

retrouver, dégagée autant que possible des interprétations et des commentaires, la pensée d’Ænésidème. C’est à l’aide de ces documents que nous essaierons de reconstituer son argumentation.

    doit être empruntée à Ænésidème. Pourquoi citer, au lieu d’Épicure, un de ses plus obscurs disciples ? Ce choix ne se comprend guère que si Démétrius a été déjà pris à partie par un contemporain, et c’est ce que confirment le ton et la vivacité de la polémique. Zeller avait été déjà frappé de ces raisons : mais ce n’est pas Carnéade, comme le croit l’illustre historien, c’est Ænésidéme, d’après Natorp, qui a été l’adversaire de Démétrius.

    Toute cette argumentation est loin d’être sans valeur : il faut, croyons-nous, accorder à Natorp (p. 263) que c’est Ænésidème, et non Carnéade, qui a été l’adversaire de Démétrius. Mais en admettant que Sextus ait emprunté directement cette critique â Ænésidème, et qu’elle ne fut pas devenue un lieu commun sceptique, répété et modifié par tous les auteurs d’hypotyposes, nous ne voyons pas que cela autorise â faire venir de la même source tous les renseignements relatifs à Épicure et à Démocrite. Parmi les raisons directes invoquées en faveur de cette dérivation, aucune ne nous a paru décisive.

    Enfin Natorp n’hésite pas à attribuer â Ænésidème toute la discussion comprise entre les sections 348 et 368. Ici, il excède tout à fait son droit. La discussion contre Démétrius se termine évidemment à 357 : καὶ ἴνα καθολικώτερον εἴπωμεν. Il n’est plus question, dans la suite, de Démétrius, mais des dogmatistes (360). Dès lors, il nous est impossible d’attacher autant d’importance que le fait Natorp aux passages qui viennent après. Toute la théorie qu’il édifie sur ces textes nous semble pécher par la base. Ce n’est pas que nous méconnaissions ni le grand savoir ni la force de pensée dont Natorp fait preuve dans cette reconstitution, qui remplit son chapitre VI. Mais en général il nous semble prêter â Ænésidème des formules trop modernes, les raisons qu’il invoque sont trop subtiles, les textes ne disent pas tout ce qu’il leur fait dire. Au surplus, nous sommes d’accord avec Natorp sur nombre de points importants : pour des raisons différentes, et par un autre chemin nous sommes arrivé à des conclusions analogues aux siennes, notamment lorsqu’il rapproche Ænésidème de Hume et Kant. (Voy. ci-dessous, la p. v.)